Les secrets du changement climatique 4/12
Des amandiers demain en Nouvelle-Aquitaine ?

Dame nature est inventive. Sous nos latitudes, pour empêcher les arbres d'entrer en végétation avant que l'hiver ne soit révolu, elle a créé un "laissez-passer". Son nom ? La levée de dormance. Son fonctionnement ? Comptabiliser le froid reçu par un arbre durant l'hiver pour n'autoriser sa reprise de végétation que si la quantité en a été suffisante. Une façon judicieuse de prévenir les dégâts qu'entraînerait un redoux inopiné au cœur de l'hiver. Jusque-là, le mécanisme fonctionnait assez bien : ce "laissez-passer" était obtenu par les vergers quasiment tous les hivers. Ce qui permettait - une fois le printemps venu - des floraisons abondantes et concentrées dans le temps. Or, ces dernières années, les floraisons paraissent perdre en vigueur et s'étaler dans le temps. Une perturbation qui, si elle ne s'observe pas chaque année, semble néanmoins devenir de plus en plus fréquente, au point d'alerter les professionnels des filières noix, pommes, kiwis et autres fruits.
Nos vergers bientôt en manque de froid
Pour comprendre ce qui est à l'œuvre, il nous faut examiner les quantités de froid reçues par les vergers néo-aquitains au cours des dernières décennies. Force est alors de constater que la tendance est nette : sous l'effet du changement climatique, les jours froids* dont nos vergers bénéficient deviennent de moins en moins nombreux.

À Pau, on rencontrait en moyenne 23 jours froids* par hiver dans les années 1970, 16 dans les années 2010, 9 depuis 2021.
À Niort, on constatait en moyenne 36 jours froids* par hiver dans les années 1970, 25 dans les années 2010, 22 depuis 2021.
Malgré quelques nuances liées à la localisation, ce phénomène s'observe dans toute la région.
À gros traits, le nombre de jours froids* par hiver en Nouvelle-Aquitaine a presque diminué de moitié depuis les années 1970.
Le froid est donc bel et bien en train de s'effacer progressivement sous l'effet du changement climatique, et les arbres fruitiers ne parviennent plus à obtenir leur "laisser passer". Leur levée de dormance, en termes plus professionnels.
Cette tendance va-t-elle se poursuivre ? Malheureusement oui, compte tenu des émissions attendues de gaz à effet de serre. Ce qui nous amène à comprendre que dans son format actuel notre arboriculture régionale va progressivement manquer de froid.

S'adapter en trois étapes
Face à cette évolution - inéluctable jusqu'au milieu du siècle - les arboriculteurs de Nouvelle-Aquitaine peuvent heureusement adopter une stratégie d'adaptation. Celle-ci se compose de trois étapes. Tout d'abord, estimer l'horizon de temps pendant lequel une variété actuellement cultivée peut être maintenue au regard des diminutions attendues de froid.
Les conseillers des Chambres d'agriculture disposent d'outils pour les y aider. Ensuite, identifier si - à espèce inchangée - d'autres variétés conviendraient mieux dans un climat futur aux hivers plus doux. Pour une espèce d'arbre donnée, les besoins en froid peuvent varier fortement suivant la variété. Et à défaut de variétés déjà au catalogue, on pourra demander aux organismes créateurs si de nouvelles variétés moins exigeantes en froid sont à l'étude.
Enfin, si les deux premières pistes ne donnent pas satisfaction, se tourner vers de nouvelles espèces caractérisées par des besoins en froid significativement plus faibles que ceux des espèces actuelles.
À titre d'exemple, l'amandier et le figuier font partie de ces espèces peu demandeuses de froid. Évidemment, d'autres aspects climatiques doivent être considérés, tels que le risque de gel à la reprise de végétation (distinct de la levée de dormance) et les besoins en eau.
Ainsi, au cours des prochaines années et décennies, les vergers de Nouvelle-Aquitaine suivront deux trajectoires possibles. Si le choix variétal - variétés actuelles ou à créer - compense le radoucissement des hivers, alors nos paysages de vergers pourront demeurer inchangés.
En revanche, si le choix variétal ne compense pas suffisamment ce radoucissement, alors les vergers de Nouvelle-Aquitaine changeront progressivement d'aspect avec la mise en culture de nouvelles espèces.
"Un oranger sur le sol irlandais, on ne le verra jamais" chantait jadis Bourvil. "Des amandiers sur le sol aquitain, on en plantera peut-être bien " pourrait-on lui répondre aujourd'hui.
*En arboriculture, jour durant lequel la température moyenne est < = à 7 °C.