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« Les agriculteurs doivent écrire un grand récit de l’alimentation »

Produire plus et plus efficacement, c’était le credo de la conférence-débat menée par la géographe Sylvie Brunel au lycée agricole de L’Oisellerie, dans un contexte géopolitique bouleversé.

Pour Sylvie Brunel, les agriculteurs conventionnels doivent être « des attaquants constructifs ».
© Alexandre Veschini

La conférence-débat organisée par le comité pour l’agriculture de la Charente (CAF16) à l’Oisellerie avait des allures de grand-messe, quelques heures après l’assemblée générale de la FNSEA16. Sur le thème « Comment les agriculteurs vont sauver le monde », la géographe et économiste Sylvie Brunel a étayé pendant plus de deux heures les bienfaits de « l’agriculture nourricière », portée par des « chevaliers, protecteurs de l’environnement ».

Prix et rendements

« Les évènements en Ukraine ramènent le sujet de la souveraineté alimentaire sur le devant de la scène. C’est un sujet qui nous tient à cœur et nous voulons le partager », indique en préambule Jean-Bernard Sallat, président du CAF16. Sylvie Brunel a rappelé qu’un « certain nombre de pays importateurs vont être sévèrement impactés par la guerre. » Et de s’inquiéter des arrêts des exportations vers la Russie. « Ces mesures de rétorsions impactent directement nos producteurs. » Les rendements sont un élément central de la rhétorique de Sylvie Brunel. « Le prix de la nourriture est devenu une question centrale ». D’autant qu’avec la situation géopolitique actuelle, « on risque de nouvelles émeutes de la faim. » Les demandes environnementales de la nouvelle PAC et plus largement la politique européenne en matière d’alimentation ne vont pas de pair avec « le fait de réduire les fertilisants, d’utiliser des terres en bio, d’augmenter la surface en jachère ». Le danger pour Sylvie Brunel est de passer du slogan « De la ferme à la fourchette » à « De la ferme à la famine. » Lors des questions du public, Michel Delage, agriculteur et maire de Feuillade, a fait remarquer « qu’une partie de la production agricole partait à la poubelle. Il y aurait aussi un effort de résilience à faire de ce côté-là. »

Une biodiversité d’abord nourricière

La question du changement climatique a été abordée sous un angle productiviste. « Le réchauffement va apporter de nouvelles terres cultivables en haute latitude et en zone subtropicale où il y a des enjeux alimentaires essentiels. » Et plus localement, la Charente se dirige vers une « aquitanisation et une méditerranéisation des cultures face à un stress hydrique, de fortes pluies à des moments non désirés et du gel tardif ». Avec une place centrale pour le « maïs, qui est victime de racisme végétal. » Dans tous les cas, l’essentiel est de produire et d’arrêter les discours anxiogènes. La biodiversité est présentée en grande partie comme un outil dans ce sens. « La biodiversité, c’est ce que nous en faisons. Elle peut être négative (sangliers) ou préjudiciable (cervidés, blaireaux). Les agriculteurs entretiennent une biodiversité nourricière. [...] Nous sommes dans une logistique de renaturation. Les écosystèmes sont en réalité des agroécosystèmes. Ce sont des paysages nourriciers. L’élevage représente 50 % du territoire, 14 millions d’hectares sont valorisés. »

Quand Sylvie Brunel parle des bienfaits de l’agriculture, il s’agit de « l’agriculture conventionnelle », même si elle « n’aime pas ce mot. » Et de considérer qu’il « faudrait en trouver un autre et arrêter de considérer que le conventionnel est une agriculture bas de gamme. » Même s’« il ne faut pas opposer les systèmes », a insisté Sylvie Brunel, la bio et les cultures alternatives se sont fait tailler quelques croupières, dénoncées pour leur manque de rendement et le retour de certains ravageurs plus difficiles à éradiquer avec moins de chimie.

Des « Français trop gâtés » et « ingrats »

Le regain d’intérêt pour ces pratiques et pour les circuits courts relèverait presque du caprice de « Français trop gâtés » et marqués par « l’amnésie » et « l’ingratitude » face à ceux qui les nourrissent. « Il faut faire attention de ne pas mettre en avant des milieux aisés. Le critère du prix reste déterminant. Trois quarts des achats alimentaires se font en grandes surfaces. Ce qui marche, c’est le discount alimentaire. Les discounteurs se font guerre des prix au détriment des producteurs français. » Tout juste, estime-t-elle que « le bio et la vente directe sont des montées en gamme nécessaires pour la mise en valeur des milieux difficiles. »

Sur la réponse aux attentes sociétales, l’intervenante estime que c’est aux agriculteurs de mener la barque. « Il faut une charte de bonne conduite, et revenir au principe de réalité. les agriculteurs doivent prendre des initiatives. Ils doivent être des attaquants constructifs. Nous sommes capables d’entendre les attentes sociétales tout en étant bon dans tous les domaines. Le référentiel doit être pris en main par les agriculteurs. » La réponse proposée à ces enjeux est technique pour Sylvie Brunel, mais aussi numérique, génomique et chimique.

La réponse pour Sylvie Brunel est « produire plus et moins cher » et pour cela « l’agriculteur a besoin être accompagné dans une troisième révolution agricole. » Le cœur du problème : « la distorsion de concurrence sur des pesticides utilisés sur des produits importés », la « concurrence sur le prix », et le « danger clauses miroirs qui pourrait conduire à la fermeture des marchés. »

Pour Sylvie Brunel, c’est d’abord un problème de communication. « A Paris, on ne sait pas comment vit un agriculteur ». Il faut une « disneylandisation » du discours. « Il faut construire un grand récit, celui d’un monde qui a pris l’humanité par la main et lui a appris à s’abstraire de la peur de mourir de faim, de la peur de mourir de contamination alimentaire ». Un discours porté dans les écoles, dans les manifestations comme Bienvenue à la ferme ou Ferme en Ville. Ce serait aussi repenser le statut de l’agriculteur, qui « doit être garanti, soit par le prix, soit par un soutien financier. »

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