Et si le terroir était une invention ?
L’Institut du Goût Nouvelle-Aquitaine a présenté, à l’occasion de son assemblée générale, des travaux sur la relation entre produit et terroir.
Et si le terroir était une invention ? À l’occasion de l’assemblée générale de l’Institut du goût Nouvelle-Aquitaine, fin mai, Corinne Marache, professeur d’histoire contemporaine, et Philippe Meyzie, maître de conférences en histoire moderne, ont exposé leurs réflexions. Les deux enseignants de l’université Bordeaux-Montaigne se sont appuyés sur le programme de recherche Teresma qu’ils coordonnent, et qui a pour objectif de mettre en relation territoires et produits du terroir.
« L’idée est de s’interroger sur un possible déterminisme, le sol, le climat, la situation géographique pouvant expliquer le lien entre un produit et son territoire », commence Corinne Marache. « Au XVIe siècle, le terroir désigne une zone de production. Il prend même un sens négatif au XVIIe siècle, un vin avec un goût de terroir étant un vin avec un goût de terre », ajoute Philippe Meyzie.
On est loin du sens actuel du mot, où terroir rime avec origine, local, et qualité. Plusieurs facteurs peuvent avoir joué, dès le XVIe siècle, sur la localisation des produits ou sur leur succès des produits à des endroits bien précis du territoire. L’attachement du produit au terroir est aussi lié à des facteurs économiques et sociaux bien identifiés selon le maître de conférences. « Le transport et la situation géographique peuvent être un avantage comparatif. On fait du beurre en Normandie parce qu’il y a un avantage à être à proximité de la Seine pour le transport, présente-t-il. L’imaginaire associé à un territoire compte aussi. Pour Paris, la Provence représente l’exotisme par son éloignement, ce qui confère aux produits une image de luxe ».
Invention ou construction ?
« Au XVIIIe et XIXe siècles, la fin des petits pays, intégrés dans de grandes nations, crée en réaction un imaginaire du territoire. Les comices (assemblées du peuple) peuvent aussi, pour des raisons politiques, mettre en avant un produit plutôt qu’un autre. Enfin, un individu peut promouvoir un produit par opportunité économique », développe quant à elle Corinne Marache. Le lien réel avec le terroir s’atténue selon ces théories.
Lorsque, à partir du XXe siècle, commencent à se créer les premières appellations d’origine, des légendes veulent « justifier » de l’appartenance d’un produit à un terroir précis. « Le canelé est entouré d’une légende selon laquelle il aurait été créé au couvent des Annonciades à Bordeaux. Mais cela a été inventé, l’objectif politique étant que Bordeaux ait une pâtisserie », note Philippe Meyzie.
Évolution des produits
Si le lien aujourd’hui est fort entre les produits du terroir et le territoire avec lequel ils sont associés, l’imaginaire collectif, les critères politiques et économiques ont donc un rôle prépondérant. Et le lien est à double sens. « Des techniques comme le transport frigorifique ou l’appertisation ont entraîné une évolution des produits comme les fromages ou les légumes », glisse encore l’enseignant.
Quant à la question du jour, volontairement provocatrice, elle permet de mettre en évidence les liens multiples entre le produit et son terroir. « Au départ, on cultivait par exemple la truffe du Périgord avec des cochons truffiers dans les vignes. Le phylloxera a détruit les vignes, qui ont été replantées dans le Languedoc, et à la place on a vu des chênes truffiers en Dordogne », indique Corinne Marache.
« Plutôt qu’une invention, les produits du terroir sont une construction sociale, ils sont attachés à un territoire mais les frontières sont mouvantes », continue-t-elle. « Le produit est une chose, mais ce sont tous les savoir-faire autour, la manière de cultiver, d’élever, de cuisiner un produit qui sont importants pour l’attachement à un terroir », conclut Philippe Meyzie.