Décryptage
Tout ce que vous voulez savoir sur les réserves sans oser le (re)demander
Qu’on les appelle réserves de substitution ou bassines, ces solutions de stockage de l’eau, prévues sur le bassin Sèvre Niortaise-Mignon, divisent. Pour éclairer le débat, retour sur plusieurs points essentiels à connaître sur ce projet inédit.
Qu’on les appelle réserves de substitution ou bassines, ces solutions de stockage de l’eau, prévues sur le bassin Sèvre Niortaise-Mignon, divisent. Pour éclairer le débat, retour sur plusieurs points essentiels à connaître sur ce projet inédit.
1 - Quelle est la genèse du projet ?
À la fin des années 90, la quasi totalité des Deux-Sèvres est placée en Zone de répartition des eaux (ZRE) : il y a une insuffisance en eau par rapport aux usages.
C’est la fin de l’irrigation sans régulation.
Il a fallu imaginer plus de sobriété pour honorer tous les usages (eau potable, milieu naturel, agriculture, industrie). Il est alors demandé aux agriculteurs de s’organiser en ce sens.
Une des solutions avancées est de retenir l’eau quand elle est en abondance, entre novembre et mars, pour l’utiliser à des fins d’irrigation agricole quand on en a besoin, l’été. C’est le principe de substitution : on remplace les prélèvements d’eau dans le milieu l’été par une eau prélevée et stockée l’hiver.
2 - Quelle zone est concernée ?
3 - Pourquoi cette solution plutôt qu’une autre ?
Pour des raisons géologiques : parce que le bassin Sèvre Niortaise-Mignon est sans relief et ne permet pas de créer de retenues collinaires. Et parce que son sous-sol, karstique, ne retient pas l’eau : c’est une sorte de gruyère calcaire avec succession de nappes, sous une couche superficielle d’argile, de 30 cm environ, pleine de cailloux. Ces nappes superficielles sont très réactives : elles commencent à se remplir quelques jours après les pluies et se vidangent rapidement dans la rivière.
En raison d’un triple compromis : la taille et la localisation des réserves répondent à une triple exigence :
- impacter le moins possible le milieu, en rationalisant notamment les forages (suppression ou changement de fonction),
- avoir du foncier disponible,
- connecter un maximum d’irrigants à chaque réserve.
Faire moins de réserves, mais de plus grande taille, permet de créer des ouvrages collectifs plutôt que privés. On entre dans une gestion collective et partagée.
Pour le bon état des eaux : les études scientifiques projettent une remontée des nappes de 2 à 4 m, en période d’étiage et selon les endroits, lorsque les réserves auront toutes été construites. Connectés ou non à une réserve, tous les agriculteurs seraient ainsi gagnants.
EN CHIFFRES
4 - Qu’est-ce qu’un irrigant ?
Un irrigant apporte de l’eau à ses cultures par rapport à leurs besoins. On est irrigant dès lors qu’on a un point de captage sur le milieu de plus de 1 050 m3. Tout irrigant a l’obligation de déclarer ses captages à l’OUGC, à qui sont faites aussi les demandes de volumes. Il doit se soumettre aux restrictions quand il y en a, avec possibilité de demander une dérogation justifiée.
Les Deux-Sèvres recensent près de 800 fermes qui irriguent, dont 200 sur le bassin Sèvre niortaise-Mignon. Environ 10 % de la SAU départementale est irriguée.
Ceux qui ne sont pas irrigants peuvent faire une demande pour le devenir, dans le cadre d’une reprise sur un forage existant ou sur un projet de réserve. Depuis près de 30 ans, on ne peut plus créer de forage agricole sur le bassin mais seulement reprendre des volumes d’irrigation existant. Sont prioritaires pour l’attribution de volumes les jeunes installés et petits consommateurs (maraîchers et éleveurs en tête). Les autres irrigants baissent automatiquement les leurs. Chacun paye proportionnellement à ses volumes.
5 - Quels sont les précédents connus sur ce type de projet ?
La Vendée a construit 25 réserves de substitution au début des années 2000, dont certaines sont interconnectées. Le projet est porté par un syndicat mixte. On constate sur le bassin concerné (Autize-Vendée) un boom de la bio. 50% des irrigants sont en bio et le chiffre monte à 2/3 pour les céréaliers.
En Deux-Sèvres, cinq réserves ont été créées sur le bassin de la Boutonne (sud-est du département) en 2011-2012. Elles stockent 1,2 M de m3 chaque année (sauf un hiver sec où elles ne se sont remplies qu’à 40 et 60 %). Elles ont permis de redestiner des forages à l’eau potable, de sécuriser des cultures à haute valeur ajoutée (AOP, semences, légumes de plein champ) et de favoriser l’implantation de l’entreprise semencière Deleplanque.
Initialement, le projet porté par le service aménagement du département (CAEDS) comptait 11 réserves. À la suite du changement de majorité départementale en 2011, il a été stoppé. La Coop de l’eau 79 s’est alors créée pour le continuer.
6 - La Coop de l’eau 79, qu’est-ce que c’est ?
C’est une coopérative qui rassemble des agriculteurs pour mutualiser des moyens et des services. Depuis 2012, elle porte le projet de réserves de substitution sur le bassin Sèvre Niortaise-Mignon.
Ses objectifs sont d’organiser une gestion collective de l’eau agricole, de baisser les prélèvements dans le milieu de 10 M de m3 au terme du projet des réserves et, depuis 2018, d’accompagner la transition agroécologique. Son projet de territoire est reconnu par l’État.
L’EPMP, l’organisme public qui attribue les volumes d’irrigation sur le bassin, a inscrit dans son règlement intérieur l’obligation, pour irriguer, d’être intégré à un projet de gestion collective de l’eau. Tout irrigant du bassin adhère ainsi à la Coop de l’eau 79 pour bénéficier de volumes car il s’agit de la seule structure, à ce jour, qui propose une organisation collective de gestion. La Coop de l’eau est ouverte à un portage public du projet. En aucun cas elle n’attribue les volumes.
7 - Qu’est-ce que le protocole pour une agriculture durable ?
En 2018, les parties prenantes du projet des réserves, sous la houlette de l’État, ont bâti une feuille de route conditionnant l’accès à l’eau des réserves à un engagement des irrigants en faveur de pratiques plus agroécologiques. Ce protocole pour une agriculture durable a été ratifié fin 2018 par 13 signataires, y compris des associations environnementales.
C’était la première fois en France qu’un projet de réserve d’eau proposait de modifier les pratiques agricoles. Chaque irrigant, raccordé ou non à une réserve, doit faire un diagnostic de durabilité, signer des engagements (baisse des IFT - obligatoire, actions pour la biodiversité - obligatoire, passage en bio…) et les mettre en œuvre sous deux à cinq ans.
Tout irrigant qui ne respecterait pas ses engagements (contrôles de l’État à l’appui) se verra réduire ses prélèvements (de 5 % à suppression totale).
Malgré tout, cet accord est jugé trop peu ambitieux par ses opposants, et lent à se mettre en œuvre. D’année en année, la mobilisation contre le projet a grossi. Les recours en justice se succèdent. Après délibération du tribunal de Poitiers en 2021, la copie a été revue, le nombre de réserves est passé de 19 à 16, neuf d’entre elles ont vu leur capacité réduite.
Les recours ont toutefois donné raison au projet à plusieurs reprises, permettant la construction des réserves de Mauzé et Sainte-Soline (en cours).
Les agriculteurs, en particulier les irrigants, avaient déjà entamé un changement de leurs pratiques face aux défis sociétal et climatique : en Deux-Sèvres, on compte 50 % d’exploitants bio de plus chez les irrigants. L’eau est un moyen de sécuriser les cultures. C’est un levier pour diversifier et allonger les rotations, sécuriser les fourrages pour l’élevage et sortir ainsi des grandes monocultures en sec. Le protocole sur le bassin Sèvre Niortaise-Mignon se veut un accélérateur de transition agroécologique sur le volet Eau, passant par quatre piliers : économiser la ressource, la substituer, la protéger, la partager.
EN CHIFFRES
8 - Qui décide du partage de l’eau, et des restrictions, dans le bassin Sèvre Niortaise-Mignon ?
La commission locale de l’eau (CLE – soit le Parlement de l’eau) définit les volumes dédiés à l’eau potable, à l’industrie, aux milieux naturels et à l’agriculture.
Elle planifie cette répartition dans le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE).
Les OUGC (organismes uniques de gestion collective) répartissent les volumes attribués aux irrigants. Dans le cas du bassin Sèvre Niortaise-Mignon, l’OUGC est l’Établissement Public du Marais Poitevin (EPMP). En lien avec la chambre d’agriculture 79, l’EPMP établit des contrats de gestion territoriale quantitative.
Son objectif est double : garantir la meilleure répartition de l’eau entre les irrigants, tout en garantissant le bon état des eaux.
La chambre d’agriculture 79 instruit les demandes de volumes et de dérogations pour le compte de l’OUGC.
La DDT (préfecture), qui surveille les seuils des nappes et rivières, décrète des restrictions quand l’eau vient à manquer. Elle accorde des dérogations en priorité au maraîchage, à l’élevage, aux jeunes installés et aux cultures à haute valeur ajoutée (semences porte-graines, légumes secs et de plein champ ...).
Pendant la sécheresse extrême de 2022, toutes les dérogations demandées en maraîchage, pour les bassins dépendant de la préfecture des Deux-Sèvres, ont été accordées.
9 - Où en est-on dans le calendrier ?
La première réserve, à Mauzé-sur-le-Mignon (SEV17), est opérationnelle depuis un an. Parmi les plus petites du projet, elle est pleine à ce jour et évitera ainsi de prélever 241 000 m3 dans le milieu l’été prochain. Elle est utilisée par dix agriculteurs (notamment en lait AOP, caprins, sans compter les salariés et apprentis). Les travaux de la réserve de Sainte-Soline (SEV15) progressent. Elle permettra, dès la campagne d’irrigation de 2024, de stocker 627 868 m3 d’eau pour douze exploitations raccordées, soit 24 agriculteurs.
Dans le sud Deux-Sèvres, beaucoup d’agriculteurs attendent la construction des réserves pour stabiliser la situation face aux sécheresses récurrentes et sécuriser leurs productions, souvent diversifiées. Les oppositions et recours en justice font prendre du retard et induisent à des dépenses non prévues au départ : hausse des coûts des matériaux et sécurisation des installations.
10 - Pourquoi un financement de 60 à 70 % par de l’argent public ?
Le projet des réserves – et son protocole pour une agriculture durable – est un pari de territoire pour s’adapter au changement climatique et assurer une alimentation produite localement. L’État met ainsi des fonds pour maintenir une agriculture qui nourrit son territoire, sécuriser l’accès à l’eau et soutenir l’installation agricole, tout en accélérant la transition agroécologique. C’est un levier parmi d’autres pour faire face aux défis actuels de souveraineté alimentaire.