Aubert par moins 40°C à 5000 kilomètres d'ici
Parti dix mois au Canada comme stagiaire étranger, Aubert Mercier a découvert la production laitière dans une ferme québécoise. Récit.
Si l'adage raconte que les voyages forment la jeunesse, ils forgent également la maturité. Aubert Mercier est effectivement revenu grandi de son long voyage au Canada : «Je n'étais jamais sorti du territoire français, je n'avais jamais pris l'avion. Je me suis posé beaucoup de questions avant de partir notamment sur l'éloignement. Est-ce que j'allais supporter d'être loin de mes parents, de mes amis...?» Des questions légitimes pour ce jeune homme de 22 ans qui vit toujours chez ses parents à Saint-Génard mais une, et une seule réponse, évidente : la nécessité pour lui de découvrir l'agriculture d'ailleurs. Car, comme il dit, « si un jour je m'installe, je veux être au top! »
En effet Aubert vise l'excellence pour ce métier qui est pour lui un rêve d'enfant. Il suit alors le parcours classique : Bepa en productions végétales et bac éponyme au lycée de Venours. Il enchaîne ensuite sur un BTS en productions animales par apprentissage à Bressuire. «C'était une formation hyperintéressante mais je n'ai pas décroché le diplôme, sûrement par manque de travail», concède-t-il. Aubert se lance alors sur le marché du travail en tant qu'ouvrier agricole en production laitière mais l'idée d'aller voir ailleurs le démange. Via la structure Odyssée Agri basée en Bretagne, il monte son dossier et choisit par ordre de préférence : le Canada, l'Allemagne et l'Australie. Les dés sont lancés et la destination sera Coteau-du-Lac à quarante minutes au sud de Montréal.
Aubert Mercier pose alors le pied sur le sol québecois le 30 septembre 2014 : «C'était l'arrière-saison, il faisait 20 degrés environ. Dès le lendemain, j'ai embauché.» Avec le statut de stagiaire étranger rémunéré 500 dollars canadiens par semaine (dont 140 reversés au fermier), le jeune homme est logé à la ferme Legaudière forte de ses 55 prim'holsteins et de ses 600 000 litres de quota. Et le jeune homme de préciser : «Là-bas, ils achètent leur quota à l'hectolitre». Une différence parmi tant d'autres , le tout bercé par l'accent canadien auquel Aubert va devoir s'initier. «Ce n'est pas simple de tout comprendre au début, heureusement certaines expressions se rapprochaient du patois mellois», sourit-il.
«j'ai dépassé mes limites»
Aubert voulait goûter à l'agriculture canadienne, ce sera chose faite dès le premier jour, ses bras s'en souviennent encore. Car si la ferme excellait en matière de génétique, elle ne regorgeait pas de matériel agricole. «Le fermier ne comptait pas transmettre son exploitation (Ndlr, 80 ha), il ne l'avait donc pas faite évoluer. On a fait 9500 petites bottes de foin à la main, on curait tout le fumier manuellement et la traite était plus contraignante, les animaux étaient à l'attache, il fallait déplacer les trayeuses...» Entre ce travail éreintant et la perte de repères due à l'éloignement, Aubert confie avoir repoussé ses limites surtout au moment où le mercure s'est mis à plonger. Le manteau blanc prend ses quartiers le 25 novembre pour ne s'évanouir que le 7 avril. Les dates sont précises, il est des températures qui ne s'oublient pas : jusqu'à moins 40°C en février et plus d'un mètre de neige. «Ce fut l'hiver le plus rude et le plus long depuis vingt ans. Même si les températures descendent progressivement, c'est très dur.» Les vaches elles aussi, bien que gardées au chaud dans des bâtiments adaptés au froid, connaissent une période de transition face au froid en matière de production. Avant de briller. Et Aubert de raconter : «La ferme se classait première au niveau de la qualité du lait de toute la Montérégie avec 67 000 de moyenne pour les cellules somatiques et 6000 pour les bactéries. L'étable était nickel et les vaches hyperperformantes avec 11 700 kg de lait en moyenne/vache/année. Guylène, la meilleure vache, a connu un pic de lactation à 84 kg de lait/journée!» Un lait vendu 800 dollars canadiens les 1000 litres alors que dans l'Hexagone, la crise agricole est à la Une. «D'ailleurs, ils ne comprennent pas qu'en France, un agriculteur ne vive pas mieux de son métier», note-t-il. Mais, selon Aubert, il y a également à redire du côté canadien car s'ils sont performants en matière de génétique et dotés d'une culture de la conformation indéniable, ils ne sont pas sur le podium en matière de protection de l'environnement. «Ils sont tous en système super-intensif, le tout OGM est légion... Ils sont conscients de leur retard en matière environnemental même si les choses commencent à bouger. Autre point noir : le prix du foncier, il est exorbitant. Il faut compter entre
15 000 et 22 000 euros/ha. En revanche, c'est une très bonne terre noire, elle ressuye bien.» Enfin, pour revenir aux qualités des agriculteurs canadiens, Aubert a apprécié leur ouverture d'esprit : «Mon patron faisait partie du club holstein et lors de leurs réunions, ils invitaient des citadins à débattre avec eux».
Et maintenant
Aubert est rentré en France le 29 juillet 2015. Et malgré un prix du lait canadien deux fois plus élevé qu'en France, celui qui dit s'être fait une vie au pays de l'érable compte bien s'installer un jour dans sa région d'origine. «En France, nous avons des progrès à faire mais notre agriculture est intéressante et cette culture de la qualité que nous avons est motivante», souligne-t-il. Pour l'heure le jeune homme cherche du travail en tant qu'ouvrier agricole mais regarde également du côté de La Nouvelle-Zélande. «On m'a dit un jour, quand tu commences à voyager...», confie-t-il sans terminer cette phrase qui marque sans nul doute une ouverture au monde.