Ce qu’il y a derrière les négociations entre l’Europe et le Mercosur
Les négociations ont débuté depuis plus de deux décennies.
Et elles sont sur le point d’aboutir à un accord. Contours et incidences.
En décembre dernier, l’échec de la négociation de l’OMC, à Buenos Aires, sur le commerce mondial laissait la place à des accords « bilatéraux. » Comme celui que s’apprête à signer L’Union européenne avec le groupement d’Etats d’Amérique du Sud, le Mercosur. Une négociation débitée… en 1999. Qui avait déjà abouti à un accord en 2004. Remis sur la table en 2010, en 2012 et en 2016. Selon le directeur de l’OMC Roberto Azededo, «le multilatérisme ne veut pas dire avoir ce qu’on veut, mais ce qui est possible.» On reste sur sa faim après Buenos Aires. Notamment du côté du Gouvernement où l’on espère que l’Union européenne puise jouer sa carte. Mais les Etats-Unis freinent des quatre fers. En décembre dernier, le secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur estimait que l’accord avec le Mercosur «était qu’une affaire de semaine.» Au diapason avec la Commissaire européenne Cecilia Malmström. Passer un accord avec les autres pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Urugay, Paraguay) est un aller-retour entre Europe et l’Amérique du Sud. Cette dernière craint la concurrence des produits manufacturés européens.
Des séances de négociation se sont succédé en décembre dernier en vue de conclure cet accord. Le Mercosur a fait des concessions supplémentaires, dépassant la limite des 90% de lignes libéralisées, tout en exigeant des avancées de l’UE sur l’agriculture. Cecilia Malmström, la Commissaire au Commerce, était dans l’obligation de consulter le Commissaire Hogan sur les questions agricoles, mais a cherché à progresser. Elle est appuyée par une majorité d’Etats membres, dont l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.
La France avait pris le leadership du groupe de 11 constitué en septembre dernier (Autriche, Belgique, France, Hongrie, Irlande, Lituanie, Luxembourg, Pologne, Romanie, Slovaquie et Slovénie), pour freiner au maximum toutes concessions européennes sur le chapitre agricole, même s’il est reconnu que pour conclure, l’UE devra offrir des volumes supplémentaires sur les produits sensibles, dont le bœuf.
A la mi-décembre, à l’issue d’une rencontre entre les deux Commissaires, Malmstrom et Hogan, et les 4 Ministres du Commerce du Mercosur, il avait été convenu une déclaration conjointe, soulignant les importants progrès réalisés sur les concessions réciproques, que l’accord était à portée de main et devrait être finalisé au premier trimestre 2018. Nous y sommes. Effectivement en raison des élections au Brésil en octobre 2018, à partir de fin mars, le gouvernement brésilien ne sera plus en mesure de signer un accord. Il semble qu’un désaccord entre les Commissaires, combiné à l’échec de la CM11, ait conduit à l’abandon de cette déclaration.
Lorsque les discussions ont repris, la semaine dernière, à Asunción, la capitale de l’Uruguay, avec les commissaires européens au commerce et à l’agriculture, l’inquiétude n’a cessé de croître dans le monde agricole français. Du côté du COPA-COGECA, on a averti Jean-Claude Junker du tournant pris par ces négociations : pas question de concession sur l’agriculture «en vue d’obtenir des gains dans d’autres secteurs économiques.» Au cœur du sujet : la concurrence des productions aux règles différentes. Mais les derniers propos de la Commissaire européenne, Cecilia Malmström n’est pas de nature à rassurer le secteur agricole. 700 000 tonnes de viande bovine sont dans le panier.
41,3 milliards d’importations pour 41,6 milliards d’exportations
Selon un rapport de la coordination espagnole des OPA (COAG)*, le Mercosur est le principal pourvoyeur des productions agricoles de l’Union européenne. Plus de 67 % des produits pour l’alimentation animale importés en Union européenne viennent du Mercosur. 80 % de la viande importée par l’Union européenne vient aussi du Mercosur. Donc le COAG considère qu’il n’est pas nécessaire d’apporter des contingents supplémentaires : et le chiffre varie entre 70 000 t à 110 000 t. Selon ce rapport en 2016, l’Union européenne importait 19,5 milliards d’euros de produits agro-alimentaires du Mercosur (17,4 % des importations totales de l’Union européenne). A l’inverse, les exportations agro-alimentaires européennes représentaient 2 milliards. S’ajoutent sur ces importations les interrogations sur la sécurité et la traçabilité.
Dans les chiffres donnés par ce rapport, 30 % des importations sont constituées par des tourteaux de soja, 13 % par des semences de soja dont l’Espagne est le principal importateur, les importations de viande bovine (fraîche, rafraîchie et congelée) représentent 6,1 % et celles des préparations 5,3 %. En échange on exporte de l’huile d’Olive et des spiritueux. Selon une autre étude, menée celle-là par la FNSEA, l’accord avec le Mercosur pourrait accélérer la disparition des élevages français : «selon nos estimations, les importations cumulées de viandes bovines dans le cadre du CETA et du Mercosur viendront provoquer une chute de 10 % du prix payé au producteur, soit une diminution de 30 à 60 % du revenu des éleveurs et la disparition de 30 000 emplois supplémentaires au sein du secteur.»
Et le discours d’Emmanuel Macron devant les jeunes agriculteurs n’a pas été de nature à calmer les discussions en cours. On lui reproche, notamment du côté de la FNSEA, de vouloir importer toujours plus de viandes issues de pays tiers pour dégager ensuite le marché français via l’exportation. Une «ambition» peu partagée par les éleveurs français. Et on insiste sur ce nouveau contingent, qui va à l’encontre de l’interdiction de bœuf aux hormones, «seule et unique restriction aux importations permise par la réglementation européenne» souligne-t-on à la FNSEA. «Cette interdiction, contrainte aux règles de l’OMC, a fait l’objet au compromis avec les pays tiers ayant abouti à l’ouverture du Panel Hormones (48 200 t à 0% de droits de douane) : un contingent dédié à plusieurs pays exportateurs, réservé à l’importation de viande sans hormones.» Et de poursuivre : «le compromis obtenu à l’OMC est d’ailleurs remis en cause par l’administration américaine : le conflit qui l’oppose à l’Union européenne devrait aboutir à de nouvelles ouvertures de marché à droit nul aux viandes étasuniennes.»
*Estudio de impacto su el sector agrario del acuerdo de libre comercio UE-Mercosur.