Alimentation
Comprendre, s’unir et agir pour répondre au défi alimentaire
A l’heure où la flambée des prix agricoles fait craindre de nouvelles émeutes de la faim dans le monde, une table ronde pour réfléchir à une autre gouvernance de la sécurité alimentaire était organisée vendredi dernier à Poitiers par Afdi Poitou-Charentes.
«Si l’on veut nourrir 9 milliards d’individus avec le niveau calorique d’un Mexicain, il faudrait que l’Afrique multiplie sa production par 4. » La phrase, signée du député européen Stéphane Le Foll, en dit long sur le défi qui attend les agriculteurs du monde. C’est pour tenter de répondre à cet enjeu crucial qu’Agriculteurs français et développement international (Afdi) Poitou-Charentes avait organisé ce long débat intitulé « Les agriculteurs face au défi alimentaire». Etaient présents dans la salle de conférence du Crédit Agricole de Poitiers, Stéphane Le Foll, mais également Luc Guyau, président indépendant de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation), Gérard Renouard, président national d’ AFDI, et Nadjirou Sall, secrétaire général des Fédérations des ONG sénégalaises - Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (FONGS - ROPPA). Faisant suite à une intervention remarquée de Jean-Louis Chaléard, enseignant chercheur à l’université de Paris Panthéon Sorbonne, la table ronde a accouché de débats enflammés (lire encadrés).« L’alimentation est un élément déclencheur. N’oublions pas qu’en Tunisie, tout est parti de protestations contre les prix des denrées de première nécessité », souligne Luc Guyau. Pour Gérard Renouard, « il ne faut surtout pas dissocier agriculture et alimentation, et réfléchir à la situation des jeunes ruraux des pays du Sud, afin qu’ils ne viennent pas grossir les rangs des chômeurs dans les villes ».Les différents intervenants ont insisté sur la nécessité d’une juste rémunération de la production de l’agriculteur, au Nord comme au Sud. « Etre paysan, c’est nourrir notre population et vivre de notre production. Pendant que le Sénégal importe 400 000 tonnes de céréales par an, nous, paysans, sommes en bas de l’échelle sociale et devons chaque jour nous battre pour parvenir à l’autosuffisance », affirme Nadjirou Sall. « Assurer un revenu correct aux agriculteurs est la priorité absolue. En Europe, les gens oublient que l’alimentation, ce n’est pas gratuit. A force d’être dans une société où le manque n’existe plus, on oublie l’origine », renchérit Luc Guyau, soulignant ici la différence très nette entre les préoccupations du Nord et celles du Sud.Au niveau local, il est bien difficile pour les agriculteurs du Poitou-Charentes de se retrouver au milieu de toutes ces questions épineuses. « La première des façons d’agir est tout simplement de s’informer, afin de comprendre tous ces enjeux », précise Yvette Thomas, présidente de la Fédération régionale des coopératives agricoles (FRCA). Information et compréhension : deux maîtres mots à l’heure où l’agriculture mondiale entre dans une nouvelle ère. Une ère où les agriculteurs devront être capables d’assurer la sécurité alimentaire mondiale tout en respectant l’environnement.
Le libre-échange en cause
Lors de cette table ronde, les débats ont été particulièrement animés lorsqu’il a fallu évoquer le rôle des Etats dans la situation actuelle. Pour Stéphane Le Foll, « l’UE n’investit presque plus dans l’agriculture ». « Les Etats se sont désengagés, laissant faire les marchés. Conclusion, on se retrouve aujourd’hui avec des cours très volatiles, et de la spéculation toujours plus forte. On est en train de jouer à la roulette russe avc l’alimentation !», s’indigne Luc Guyau.L’OMC et ses politiques libre-echangistes n’ont pas été épargnées par les participants du débat. « Il faut arrêter de croire que le libre-échange va permettre aux producteurs des pays en développement de vivre », affirme Stéphane Le Foll. Quant au président indépendant de la FAO, il estime que « les pays riches doivent accepter que les pays en développement puissent protéger et réguler, ne serait-ce que momentanément, leurs importations ». De son côté, Nadjirou Sall ne se prononce pas contre les échanges, mais il demande « des échanges qui nous permettent d’avoir notre marché intérieur, de consommer ce que nous produisons et de développer des infrastructures ». Face à ce constat, Luc Guyau et Stéphane Le Foll espèrent une reprise en main rapide de ces dossiers par les pouvoirs publics, mettant en avant la nécessité pour les pays développés d’investir afin de permettre aux pays en développement de moderniser leur agriculture. Pour Luc Guyau, « nous devons considérer l’alimentation comme un facteur de stabilité et de paix, et cela passe par la mise en place de véritables politiques agricoles à long terme ».