Conférence agricole départementale : Les faits contre l'irrationalité
La relation entre agriculteurs et société était au coeur de la onzième édition de la conférence agricole départementale, qui s'est tenue vendredi 29 novembre à la Maison de la Charente-Maritime de La Rochelle.
Dans le monde agricole, le mot de l'année est indéniablement ''agribashing''. Dénoncé par les syndicats, pratiqué par des citoyens, des ONG et même par des élus, le dénigrement des agriculteurs est devenu un véritable problème de société. Dernièrement, ce phénomène s'est traduit par l'instauration de ''zones de non-traitement'' au moyen d'arrêtés municipaux. Une démarche qu'a critiqué le président du Conseil départemental, Dominique Bussereau, lors de l'ouverture de la conférence agricole du 29 novembre. « Quand je vois le maire d'une grande ville de l'ex-région Poitou-Charentes avec seulement quatre exploitations sur son territoire prendre cet arrêté, je me dis que c'est un geste politique, électoral », a dénoncé l'ancien ministre de l'Agriculture. À ses yeux, « nous avons une nouvelle génération qui n'a plus de lien générationnel avec le monde rural, et ces nouveaux ruraux ont parfois du mal à comprendre l'agriculture ». D'où le thème de cette onzième édition du rendez-vous départemental agricole, « agriculteurs et citoyens : comment mieux vivre ensemble ? ».
« Le monde évolue, même si ça ne se voit pas dans les chiffres ! »
La matinée a d'abord été l'occasion d'une démonstration éclairante sur les biais de la perception de l'information, même s'il ne s'agissait peut-être pas des intentions initiales des organisateurs. La première intervenante était Laurence Guichard, qui intervenait avec la double casquette d'ancienne chercheuse à l'INRA et de « paysanne-boulangère » récemment installée dans la Vienne. Elle s'intéressait à l'utilisation des pesticides, passant rapidement sur les enjeux sociaux et sanitaires pour s'attarder plus longuement sur ceux économiques... et agronomiques, dénonçant notamment « une résistance avérée des bioagresseurs qui fait utiliser toujours plus de produits ». Sa critique a notamment porté sur les résultats du plan Écophyto, lancé pour réduire les quantités de phytosanitaires utilisés et qui se traduirait par une stabilité, voire une légère hausse. Son exposé s'est porté ensuite sur les trois axes d'action envisagés pour réduire cet usage. Le meilleur positionnement des traitements, selon elle, « c'est bien, mais ça ne fera pas la réduction voulue par Écophyto ». La substitution par d'autres intrants ? « On n'a jamais fait mieux que les phytos jusqu'à présent pour leur usage », admet-elle. La solution, selon elle, c'est de « reconcevoir les systèmes », passer « dans une sémantique de protection et non plus de lutte » qui, reconnaît-elle, pourrait avoir un impact sur les filières avec une baisse des rendements. D'où des solutions comme la modification des assolements, le développement de nouvelles filières... Autant d'idées qui provoquent l'intervention d'Yvette Thomas, présidente de la Fédération des Coops 17 : « dans ma coopérative, nous avons tenté de faire une filière autour des lentilles... Mais le consommateur n'en mange pas ! »Les réactions des agriculteurs et de leurs représentants, après cette intervention, étaient plutôt virulentes. « Les pratiques évoluent d'année en année », a rappelé Pierre-Clément Casagrande, président des Jeunes Agriculteurs 17. « Le monde évolue, même si ça ne se voit pas dans les chiffres ! » Avertissant sur les risques d'importation de produits qualitativement moindres, il s'est insurgé contre certaines leçons données par la société : « je changerai de pratiques quand le citoyen lambda arrêtera de mettre des produits chez lui qu'on retrouve dans les champs ! » « Ce n'est pas le bio qui nourrira les gens », a ajouté plus tard Thierry Boucard, président de la Coordination rurale 17. Luc Servant, président de la Chambre d'agriculture, a voulu s'appuyer sur les faits : « la France est le pays ayant supprimé le plus de substances actives au monde », a-t-il rappelé. « L'agriculture a baissé l'utilisation des antibiotiques chez les agneaux de 39 % ces dernières années, quand dans le même temps chez les citoyens la consommation a augmenté. »
Aux sources de la rupture
Mais c'est Géraldine Woessner, journaliste du « Point », qui a mis le plus en difficulté Laurence Guichard sur ses affirmations, en pointant notamment l'utilisation de l'indicateur NODU (NOmbre de Doses Unités) qui ne tiendrait pas compte, selon elle, de la baisse de l'intensité de ces mêmes doses et de l'évolution des produits utilisés. « Le grand public n'a pas toute ces informations, toute cette finesse... et au final, il est désinformé », a-t-elle dénoncé, pointant la responsabilité des « pouvoirs publics qui ont retenu ces indicateurs ». L'invitée de la conférence est ensuite revenue sur l'agriculture et son traitement dans la presse généraliste, pointant l'évolution de ce rapport au fil des décennies. « Après-guerre, l'agriculture incarne toute la chaîne agroalimentaire », a-t-elle ainsi rappelé. Mais la diminution du nombre d'agriculteurs s'est accompagnée d'une baisse toute aussi significative de celui des journalistes spécialisés. Le sujet passe dans la rubrique « Société » au moment où les premiers scandales alimentaires éclatent. Le tournant du siècle, avec la crise de la vache folle et le retour des « peurs alimentaires » (portant non plus sur la quantité disponible, mais la qualité des produits), marque une rupture entre le monde agricole et le reste de la société. « C'est au moment où l'autonomie alimentaire est acquise qu'on oublie qu'un mandat a été donné aux agriculteurs pour le productivisme. »La critique du ''système'' agricole
La journaliste est également revenue sur un autre aspect de cette évolution : l'apparition de revendications politiques sur l'agriculture suite à un événement marquant, le démontage du fast-food de Millau par José Bové et son syndicat. L'audience donnée aux organisateurs de l'événement dépasse largement leur représentativité du monde agricole. « Les journalistes vont épouser cette cause », explique Géraldine Woessner - qui semble avoir été épargnée par ce phénomène. À la même époque naissent des mouvements, issus pour partie selon elle des opposants au nucléaire, et qui commencent à dénoncer le modèle agricole. « Ceux qui critiquent le plus ce système sont ceux qui ont des buts politiques... et la plus large audience. » L'apparition de la publicité pour les grandes surfaces à la TV, avec la mode du ''sans'', le passage d'une communication positive de l'agriculture biologique à des messages dénigrant les pratiques des agriculteurs conventionnels, ou la publication en 2012 de l'étude « Tous cobayes » aux résultats démentis par d'autres chercheurs ont contribué à creuser ce ''fossé'', avec à la manoeuvre ce qu'elle présente comme des lobbies du bio, dont Générations Futures. « Ces associations ont déplacé le débat du pesticide ''mauvais pour l'environnement'' à ''mauvais pour vous'' », prévient Géraldine Woessner. « Et la plupart des journalistes sont tombés dans le panneau. » Elle évoque la création d'une image bien particulière de la profession par le monde médiatique : « on aime l'agriculteur parce qu'on le croit victime d'un système capitaliste, productiviste, dont on veut le libérer malgré lui. »Le discours de la journaliste a évidemment fait réagir la salle, où la présence de deux camps était bien visible dans les questions et les temps d'applaudissement. « Assurez-nous que vous n'avez pas été payée par la FNSEA ! », a ainsi lancé le président départemental du syndicat, Cédric Tranquard. Démenti de Géraldine Woessner ainsi que de Françoise de Roffignac, qui a tenu à préciser que la journaliste était venue « à ses frais ». La vice-présidente du Conseil départemental en charge de l'agriculture, qui a supervisé cette conférence, est intervenue en fin de matinée sur l'accompagnement du Département aux agriculteurs, tandis que Luc Servant a présenté les enjeux de la charte départementale de bon voisinage... Un autre sujet sensible démontrant que ce dossier des relations entre agriculteurs et voisinage n'a pas fini de faire parler de lui.