Crise porcine : la grande distribution sur le gril
Lors d’une réunion de crise au ministère de l’Agriculture, le 31 mars, Stéphane Le Foll a fixé un ultimatum à la grande distribution : il lui demande de s’entendre avec la filière porcine, avant fin avril, sur un encadrement des promotions, qu’il juge « destructrices de valeur ».
De l’avis des professionnels, le ministre de l’Agriculture a « enfin » pris la mesure de la crise que traversent les producteurs de porcs depuis octobre. Lors d’une table ronde demandée par les producteurs (Fnsea, Fédération nationale porcine et JA), et organisée au ministère de l’Agriculture, le 31 mars, Stéphane Le Foll a fixé plusieurs ultimatums à la filière, dont un, le plus symbolique, sur les promotions : il demande aux acteurs de la filière porcine et de la grande distribution de s’entendre, d’ici fin avril, sur l’encadrement des pratiques de promotions, et d’en finir avec « les promotions permanentes (qui) aboutissent à une perte de repère pour le consommateur et à la destruction de valeur ». En l’absence d’accord au sein de l’interprofession, le ministre a annoncé qu’il se réservait le droit d’encadrer les périodes de promotion, par arrêté ministériel, conformément au Code du commerce, dans des cas de « désorganisation du marché ». Le ministère propose la mise en place de deux périodes de promotion annuelles, en janvier et en septembre. Deux périodes « où le consommateur aurait tendance à se détourner du porc », explique Michel Rieu, économiste à l’Ifip-Institut du porc. Cette proposition est accueillie favorablement par les producteurs de porcs, qui souhaitent de surcroît un encadrement des prix promotionnels, afin d’éviter des écarts trop importants avec les prix hors promo. « Nous voulons des périodes plus claires, et des pratiques plus cohérentes », demande le président de la FNP Paul Auffray. De leur côté, les industriels sont favorables à la fixation - mais en interprofession et non par arrêté - de périodes de promotion, assorties de promotions occasionnelles en cas de surplus, déclenchées après concertation interprofessionnelle. « La notion de promotion a été dévoyée, elle doit rester occasionnelle. Aujourd’hui 40 % de la viande porc fraîche est vendue en promotion, certaines enseignes font des promotions sur le porc une semaine sur deux. Le porc est devenu un produit d’appel pour faire entrer les clients dans le magasin », regrette Paul Rouche, directeur délégué du syndicat des industriels de la viande (Sniv). Les industriels ne veulent en revanche pas s’engager sur les prix, même s’ils partagent le constat dressé par les producteurs d’écarts trop importants.« Nous retenons la bonne volonté du ministre. Il est conscient des problèmes des éleveurs et des abatteurs. Lors de sa conclusion, il n’a d’ailleurs évoqué que ces deux maillons », a réagi Paul Auffray, en sortant de la réunion. Après avoir été sifflé lors du congrès de la Fnsea, le 26 mars, le ministre est même salué par le syndicat majoritaire, dans un communiqué paru le 2 avril, pour la « volonté et la fermeté dont il a fait preuve » lors de cette réunion.
Critères qualitatifs associés au logo
Deux autres rendez-vous ont été pris par le ministère avec la profession : Stéphane Le Foll a demandé d’ici fin avril des propositions de la filière concernant le logo Porc français. Le ministre propose que des critères qualitatifs soient associés au logo, afin d’améliorer sa valorisation. L’une des propositions est de réintégrer au logo porc français, qui n’est aujourd’hui qu’une garantie d’origine, une partie du cahier des charges Qualité-Traçabilité (QT). Le logo VPF (devenu Porc français en 2014) était auparavant associé à un cahier des charges, dont il a été dissocié en 2011 et qui a été renommé QT. « Nous avons dissocié les deux, nous nous sommes plantés », explique Paul Auffray « Pour valoriser le porc français, il faut qu’il y ait quelque chose derrière ». D’ici fin juin, le ministre attend également des propositions concernant la mise en marché des porcs en France, « qui doit évoluer pour redonner des perspectives plus stables aux éleveurs », explique le ministère. Concrètement, « le ministre dit que le marché au cadran (de Plérin, ndlr) atteint ses limites parce qu’il fixe le prix des carcasses, alors que le marché du porc est de plus en plus un marché de pièces », explique Paul Rouche. Le ministre souhaiterait que se mettent en place des mécanismes de contractualisation sur le marché français. Sur ce dossier, comme sur celui des promotions, le médiateur des relations commerciales sera associé aux réflexions. Le ministre donne rendez-vous aux éleveurs en juin, lors de l’assemblée générale de la Fédération nationale porcine (FNP), pour la signature d’un « pacte de la filière porcine ». D’ici là, « nous avons du pain sur la planche », résume Paul Auffray.
Une “vraie fausse bonne idée”
Même s’il n’était pas lui-même à la rencontre, Yves Debien a eu rapidement vent des discussions parisiennes sur la filière porcine. En tant que producteur à Sèvres-Anxaumont et président de l’Arppc, il regrette l’absence de représentant de E.Leclerc à la table des négociations, et craint que la seule chose qui ressorte de la journée soit « des effets d’annonce ». « C’est une vraie fausse bonne idée de vouloir imposer quelque chose, alors que pour résoudre un souci, il faut des démarches volontaires ». Pour Yves Debien ce n’est d’ailleurs pas sur le prix qu’il faut essayer d’appuyer, mais sur la baisse des charges. « Il faut réduire les charges des éleveurs, mais aussi des ateliers de découpe. Si les entreprises ont une marge de manœuvre, elles pourront redistribuer aux éleveurs. » Le producteur rappelle les différences constatées au sein de l’Union européenne en matière de charges. « Nous avons 15 à 20 % de charges sociales et fiscalité de plus que les producteurs allemands ! » lance Yves Debien. « En trois ans, la France a perdu 3 millions de porcs et dans le même temps, l’Allemagne en a gagné 12 millions, et l’Espagne 4 millions ! Dans ces pays, ils n’ont pas non plus les tracas administratifs que l’on connaît. Ils ont encore le droit d’entreprendre ! »
Comparée à d’autres régions, la production porcine du Poitou-Charentes, et plus largement, celle du Sud-Ouest, connaît tout de même moins de difficultés que celles des Pays de la Loire et de Bretagne. Les encours des éleveurs de porcs bretons chez leurs fournisseurs d’alimentation animale (délais de paiement, aides à l’investissement, avances de céréales…), qui étaient de 60 millions d’euros en moyenne sur l’année 2014, ont en effet augmenté de près de « 15 millions d’euros supplémentaires en seulement 3 mois », comme s’en alarmaient les fabricants bretons de Nutrinoë, dans un communiqué, le 1er avril.
Pour Yves Debien, cette meilleure situation picto-charentaise tient notamment au fait que les producteurs y fabriquent leurs aliments et ont conservé un lien important à a terre, « qui permet de nourrir les animaux et d’épandre à moindre coût et tracas ». Le producteur ajoute que la présence d’abattoirs de taille nationale permet aussi de limiter la casse parmi les producteurs.
Élisabeth Hersand