Distinguer les tendances dans le patchwork maraîchin
Où en est-on dans les zones marécageuses de Charente-Maritime ? Mieux, moins bien qu’avant ? Pour le savoir, une étude « à dires d’experts » est de nouveau entreprise.
Achevée en 2010, la « photographie » des marais français n’était pas bonne. Non que la prise soit floue, mais les gros plans montraient une « dégradation ». Dix ans plus tard, la photo a besoin d’être réactualisée. « C’est nécessaire », débute Gilbert Miossec, le directeur du Forum Atlantique. « Régulièrement, il faut évaluer leur évolution. » Pour l’heure, aucune expertise n’a commencé, mais il partage un sentiment global avec ses collègues du forum : « la perte de surfaces des zones humides, déjà ciblée par le rapport du préfet Bernard en 1994-1995, doit être encore mesurée. » Une nouvelle vaste enquête, « à dires d’experts », les acteurs des marais, va donc être lancée dès cette fin d’automne pour apprécier l’évolution maraîchine. En bien ou en mal.
Croiser toutes les données
Même s’ils sont parties-prenantes dans la gestion des zones humides, ces acteurs, en les côtoyant tous les jours, peuvent « quantifier » les plus et… les moins. « Les inventaires réguliers existent, nationaux ou européens », assène Gilbert Miossec pour qui la baisse des surfaces est indéniable : artificialisation, infrastructures grignotent encore les marais. Les agences font aussi des bilans réguliers sur les zones humides. Selon Loïc Anras, ingénieur Eau et milieux aquatiques au Forum, ce sont les petits marais qui en font davantage les frais aujourd’hui. « Les marais emblématiques sont mieux protégés. » Pour Florence Thinzihal, chargée de mission agro-environnement au Forum, ces « photographies » dépassent les simples données chiffrées : « les gestionnaires sont fondés sur des plans de gestion de centaines d’acteurs, même si les indicateurs ne sont pas identiques sur les zones humides. » Dix ans suffisent-ils à jauger ? Gilbert Miossec trouve cette durée raisonnable. Florence Thinzihal dissocie le pas de temps entre aménagements et environnement. Loïc Anras pondère : « dans les années 1980, la tendance était plus rapide qu’aujourd’hui. » Les typologies variées des zones humides présupposent aussi des analyses différenciées : « le rapport Tuffnel cible encore des pertes de surfaces » insiste Gérard Miossec (voir notre édition du 8 février). Mais le seul indicateur des surfaces n’est pas « suffisant ». Il ajoute les modes de gestion, les moyens d’entretenir, l’urbanisme, les espèces invasives, le fonctionnement des écosystèmes… Loïc Arnas complète avec une autre notion qui doit entrer dans l’appréciation : celle des fonctions et des services rendus par les zones humides, « infrastructures naturelles » (stockage d’eau, épuration, tamponnage hydro-climatique, etc.).Jauger du qualitatif
Peut-on espérer une conclusion du prochain rapport plus optimiste ? Gérard Miossec, très à l’écoute au Forum, des acteurs, ne verse pas dans ce sens. « On sent qu’il y a une prise de conscience, mais il y a une tendance à la dégradation. Des territoires plus que d’autres. Sur certains les prix des parcelles est élevé, ailleurs, c’est la déprise. Où est l’économie maraîchine ? » Il va plus loin : « ne rien faire dans les zones humides est-il un facteur de développement de la biodiversité ou son déclin ? Ce n’est pas si tranché. » Florence Thinzihal parle de « multi-menaces » sur toutes les zones humides, identifiées ou pas en tant que telles. La cartographie ciblera les « petites zones humides » qui ont disparu avec les études de caractérisation et le mécanisme de la compensation. Mais d’abord, il convient d’éviter quelques écarts. « La compensation fonctionnelle est complexe et onéreuse. Elle a pour vertu de réduire ou d’éviter. » Loïc Anras cite la problématique du stockage-tampon de l’eau à venir dans les zones humides. « Âbimer les infrastructures naturelles, c’est se priver des millions d’économies par an. C’est le cas de la pré-potabilisation de l’eau. »La compensation en rade
Gérard Miossec évoque une « dégradation lente ». Les outils ne sont pas encore mis en place pour réduire, éviter, compenser. Ce dernier point semble particulièrement « difficile à réaliser ». La loi biodiversité est pourtant faite pour cela, mais pas mise en œuvre. « On ne peut pas compenser une tourbière par une mare », affirme Loïc Anras. Les inventaires de biodiversité peuvent effectivement jauger des évolutions. Ils ne sont pas entrepris sur toutes zones humides et ne sont pas synchrones. « La bonne ou la mauvaise santé doit se sectoriser suivant les marais, dans un patchwork d’influence » résume Loïc Anras, « les inventaires floristiques ou faunistiques, pour donner les tendances manquent ». Quant à trouver « les causes », c’est encore plus complexe. Pas des réponses noires ou blanches. « Les éléments manquent pour une bonne appréciation globale » conclut Gérard Miossec, « mais la présence d’acteurs donne des indicateurs ». Il prend en exemple l’implantation ancienne de la populiculture dans les zones humides impactant sur ces dernières. « Où gagne-t-on, où perd-t-on ? » s’interroge Loïc Anras, « il faut trouver un équilibre dans le service rendu par les marais ». À qui d’imposer cet équilibre ? Doit-il être endogène ? Autres questions qui vont de pair avec « l’inculture générale sur le marais », la culpabilisation sur l’état des lieux et les politiques publiques sur les zones humides.