Exportations de céréales : La lutte inégale de La Pallice avec Novorossiysk, Touapse, Rostov et Azov
«Nos» marchés sont toujours là, mais fortement concurrencés par des blés du monde et surtout de la Mer noire.
Quelle est la jauge ? Le nombre de bateaux chargés ou partis vers le pourtour méditerranéen, la Chine, l’Arabie saoudite ou l’Afrique de l’Ouest ? Les tonnages restés en rade dans les silos des organismes stockeurs pour cause de grève du fret ? L’analyse de la campagne exportatrice de céréales au départ des ports charentais a plus que besoin d’affinage. C’est au cœur d’une géopolitique des matières premières agricoles que s’ancrent les problématiques toutes régionales : qui concurrence qui ? Avec 3.8 Mt, le bilan estimatif de la campagne céréalière 2017-2018 est mitigé. Certes, tous les opérateurs marquent la hausse comme un «plus» par rapport à 206-2017. Mais vite obérer par les tracas de l’acheminement ferroviaire sur le dernier trimestre de la campagne. 150 000 t en moins jauge Jean-François Lépy, directeur général de Soufflet négoce. «Des tonnes vendues, pas chargées, qui sont encore, à la veille des récoltes à l’intérieur des terres.» Vincent Poudevigne, directeur général de Sica Atlantique misait sur cette récolte 2017, quantité et qualité étaient présentes. Mais pas le contexte. Tout au plus une reprise sur le début du premier semestre 2018. Au final, 2.4 Mt. «La teneur en protéines était élevée. Cela aurait pu satisfaire aux exigences de l’Arabie saoudite, principal débuché de la SICA (30 %)… » Mais l’offensive commerciale des pays producteurs de la Mer noire est venue perturber la donne. Selon Viatcheslav Avioltski, expert franco-russe en égo-politique et conseiller stratégique, invité à l’assemblée générale de la SICA Atlantique, la logistique de la Russie et de l’Ukraine s’est considérablement améliorée depuis une décennie. Seul point d’Achille : les conditions météos. Mais la zone de production s’étend sur des terres nouvelles dans la fédération de Russie, apportant plus de tonnages pour… l’exportation. Sentiment que partage Pierre Begoc, d’Agritel, lui-aussi invité de la SICA Atlantique : «la géopolitique est importante notamment pour le secteur de la Mer noire : il est dynamique car pour Vladimir Poutine, tout est lié à une ambition de stabilisation dans la zone pour utiliser la force de la production russe de blés comme pacificateur et servir des clients qui sont partenaires en affaires, notamment au Moyen Orient.» Ce puzzle géopolitique est fait de stratégies nationales, de quête d’approvisionnements et du coût du fret : «historiquement la Mer noire est un grenier à blés. La reconstruction post communiste s’achève depuis les années 2000 avec un intérêt pour l’agriculture et les investissements agricoles. C’est le retour des gros volumes de production qui permettent de satisfaire des importants marchés. »
État des lieux européen
Pour 2018, le Coceral (association européenne du commerce de grains) a révisé à la baisse ses prévisions de récolte de céréales de l’UE à 299,1 Mt contre 302,5 Mt en mars dernier. Les prévisions pour la récolte de blé en particulier ont été revues à la baisse, passant de 140,5 Mt à 138,8 Mt (contre 141,6 Mt 2017). Des reculs sont enregistrés pour l’Allemagne, la Scandinavie, les pays baltes et la Roumanie en raison de la sécheresse qui touche actuellement ces pays. Au contraire, les estimations de production en France et en Espagne sont révisées à la hausse. Pour l’orge, les estimations ont été légèrement relevées à 60,8 Mt contre 60,3 Mt en mars (58,1 Mt en 2017), les hausses en France et surtout en Espagne ayant plus que compensé les baisses prévues dans les régions affectées par la sécheresse. Les projections, encore très précoces, pour la récolte de maïs ont été revues à la baisse à 60,3 Mt contre 61,7 Mt (59,9 Mt en 2017) en raison d’un mauvais départ dans plusieurs pays en Roumanie en particulier. Les prévisions de production de colza pour l’UE ont, elles, été revues à la à la baisse, passant de 22,0 Mt à seulement 21,1 Mt (22 Mt en 2017).
Des espoirs pour les mois à venir
Vincent Poudevigne, lors de la bourse maritime agricole du Port Atlantique maintient que les «destinations traditionnelles» demeurent : pourtour méditerranéen et Afrique de l’Ouest, même si le commerce intra-communautaire perdure : «les pays-tiers représentent une large part de nos chargements.» il poursuit, à la veille de la récolte 2018 : «le stock de report dans l’hinterland de La Pallice au regard des cultures sur pied actuellement, mais surtout avec les engagements des organismes stockeurs-exportateurs donne une bonne perspective pour l’activité de la SICA sur juillet et août. » Le doublement de la capacité d’acheminement des graines, via le tout neuf grainoduc, entre les silos et les bateaux va se doter d’une meilleure logistique entre camions déchargés et retour «à plein» entre engrais et vracs agricoles. Il n’en reste pas moins que la SICA Atlantique équilibre ses comptes une fois consolidés avec les très bons résultats de sa myriade de filiales qui exportent ou importent des engrais, des vracs. Selon Jean-François Lépy, c’est la qualité des blés de l’hinterland des ports charentais qui a permis de «passer sur certains marchés» sur cette campagne. Les chargements erratiques de cette dernière sont dus aux marchés de la Mer noire. 1,7 Mt ont ainsi transités dans les nouveaux (et anciens) silos portuaires de Soufflet. Il croît surtout à un développement des marchés vers l’Afrique de l’Ouest «pour peu que la qualité soit au rendez-vous sur la récolte 2018.»
A la mi-mai, FranceAgriMer détaillait cette fin de campagne et se rassurait d’une nouvelle parité euro-dollar. «L’évolution de la parité va dans le sens d’un effritement de l’euro face au dollar» explique Marc Zribi, chef de l’unité des grains chez FranceAgriMer. «Une différence qui paraît mince, mais qui va permettre de redonner de la compétitivité aux blés français à l’export dans les prochaines semaines». Si l’euro faiblit c’est un atout commercial face à la Russie, l’Ukraine, le Brésil ou encore l’Argentine. D’autant qu’Ukraine et Russie touchent les plafonds d’exportations. «La Russie et l’Ukraine sont en train d’atteindre leurs plafonds d’exportations» explique Rémi Haquin, président du conseil spécialisé céréales de FranceAgriMer. Au 14 mai, la Russie avait exporté 42,4 Mt de blés, orges et maïs, soit 89 % de ses capacités, dont 34,3 Mt de blé (90 % de ses capacités). L’Ukraine, quant à elle, achève aussi sa campagne à l’export : 94 % de ses capacités d’export en blé ont été expédiées (15,5 Mt), et 96 % en orge (4,3 Mt), ainsi que 77 % en maïs (14,7 Mt). Les blés de l’hinterland charentais doivent maintenant jouer la nouvelle partition, version 2018.