Chambre d’agriculture
« Il serait temps qu’on revienne à des prix plus stables »
En préambule du colloque sur le thème « Crise financière, crise économique, d’autres regards », Lucien Bourgeois, économiste et membre de l’académie de l’agriculture, livre son point de vue.
Que pensez-vous des débats sur la crise financière et économique en Europe ?
Je suis surpris que les gouvernements des pays européens n’aient pas pris plus au sérieux les avertissements issus de la crise financière. A cause de pratiques bancaires aventureuses, les Etats ont tous été obligés d'augmenter leurs déficits budgétaires à des niveaux excessifs. La dette publique est ainsi passée en France et en Allemagne de 65 à 85 % du PIB. Le chômage augmente à une vitesse excessive. Mais hier la Grèce et aujourd'hui l’Irlande nous montrent qu’une nouvelle crise peut survenir alors que nous n’avons toujours pas pris de mesures pour remettre de l’ordre dans la sphère financière. Cela passe nécessairement par une stratégie concertée de tous les pays européens dans le domaine économique. Pour la politique agricole, la crise actuelle montre qu’il serait temps qu’on revienne à des prix plus stables et à une politique plus favorable à l’emploi. Cela fait vingt ans que le nombre des exploitations ne diminue plus aux Etats-Unis ! Le ministre de ce pays a même annoncé en juin dernier qu’on pouvait imaginer 100 000 actifs de plus dans le prochain plan quinquennal agricole (Farm Bill).
L’agriculture a utilisé des mesures de régulation des marchés, quels sont les enseignements à en tirer pour une meilleure adaptation des secteurs économiques ?
Pendant toute la période durant laquelle l’UE a soutenu les prix par des quotas de production, de gels des terres ou des mesures de stockage, nous n’avons jamais connu de phénomènes de volatilité des prix comme ceux que nous avons observés depuis 2006. Les hausses des prix des céréales sont excessives pour les utilisateurs que sont les éleveurs ou les industriels et pour les consommateurs. Les émeutes de la faim en ont montré l’inanité et l’injustice profondes. Les baisses qui ont suivi sont excessives pour les revenus des producteurs. Les aides directes découplées sont inefficaces car insuffisantes au moment où les prix sont bas et elles sont inutiles et injustes quand les prix sont hauts.
Quelles mesures proposez-vous pour protéger les prix dans l’Europe agricole après 2013 ?
Aucune mesure ne peut réussir sans une volonté politique. Il faut donc d’abord que l’UE affirme davantage sa volonté d’assurer la sécurité alimentaire de ses 500 millions d'habitants et ne se contente pas de grandes déclarations sur l'environnement et le réchauffement climatique.
Ensuite divers moyens sont possibles. Ils ont tous leurs inconvénients. Moins ils seront bureaucratiques et plus ils seront en liaison avec l'évolution du marché, moins cela sera coûteux pour les finances publiques. Mais on n’échappera pas à une plus grande vigilance pour éviter que des importations puissent détériorer les marchés. L’idéologie libre échangiste actuelle véhiculée par l’OMC est inopérante. Cela fait seize ans que l'OMC existe et aucun accord n’a pu être trouvé dans le secteur des produits agricoles sur ces bases. Laissons l’idéologie au vestiaire et essayons de mieux rémunérer les producteurs par un niveau de prix suffisant.
A noter
La chambre d’agriculture propose le 30 novembre un colloque sur le thème « Crise financière, crise économique, d’autres regards » à la salle de l’Hélianthe à La Crèche, à 19 h 30. Invités de ce colloque : Lucien Bourgeois, économiste et membre de l’académie de l’agriculture, et Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l’OFCE.