Fruits et légumes
La grande distribution s’engage à modérer ses marges
Sous l’égide du président de la République, toutes les grandes enseignes de la distribution se sont engagées à réduire leurs marges en cas d’effondrement des prix des fruits et légumes à la production.
«Quand il y a une crise, il faut qu’il y ait un accord de modération de marges pour que le producteur voie son prix augmenter et que le consommateur ne soit pas pénalisé », a déclaré Nicolas Sarkozy, en présence de tous les grands distributeurs (Leclerc, Carrefour, Auchan, Système U, Intermarché, Casino et Cora) et des représentants de l’industrie alimentaire et de l’agriculture, le 17 mai à l’Elysée. En effet, sous l’égide du président de la République, l’ensemble des distributeurs a signé un accord visant à modérer leurs marges en situation de crise dans le secteur des fruits et légumes. Le président de la République et le gouvernement entendent ainsi désamorcer un éventuel conflit entre producteurs et distributeurs qui pourrait surgir l’été prochain, en cas d’effondrement des prix à la production.
Concrètement, le gouvernement introduira au Sénat, dans le projet de loi de modernisation agricole, un dispositif incitatif permettant de conclure un accord de modération des marges, en cas de crise déclarée pour le secteur des fruits et légumes entre les entreprises de la distribution et l’Etat. Cet accord prévoit que le distributeur s’engage à maintenir le taux de marge brute qu’il a pratiqué, en moyenne, au cours des trois dernières campagnes. Ces accords devront être renouvelés chaque année avant le début de la campagne de commercialisation des fruits et légumes. « En cas de non-signature, les distributeurs, dont le chiffre d’affaires en fruits et légumes excède 100 millions d’euros, seront soumis à une taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales », a prévenu Nicolas Sarkozy.
Le chef de l’Etat a également obtenu des distributeurs et des industriels de l’agroalimentaire un accord sur l’étiquetage d’origine française, dès lors que les produits alimentaires contiennent plus de 50 % d’ingrédients provenant du territoire national. « Soutenir une alimentation d’origine française, c’est soutenir l’agriculture française », a-t-il précisé.
Contrats obligatoires
Un consensus s’est également dégagé, au sein de tous les représentants de la filière agroalimentaire sur la nécessité de développer la contractualisation. Le chef de l’Etat lui aussi en est convaincu : « Cela va donner de la visibilité et de la lisibilité aux producteurs et cela permet de rééquilibrer les forces entre les milliers de producteurs et les cinq distributeurs », a-t-il assuré. La loi de modernisation agricole actuellement discutée au Sénat rendra les contrats obligatoires dans le cadre d’accords interprofessionnels étendus par l’Etat. En l’absence d’accords interprofessionnels, c’est l’Etat qui déterminera par décret la base de ces contrats.
A la demande de la FNSEA, la suppression des 3 R (remises, rabais et ristournes) a été avalisée et l’encadrement des prix après vente décidé. Mais le président de la République et le gouvernement ont refusé de revenir sur la négociabilité des conditions générales de vente inscrite dans la loi de modernisation de l’économie. En revanche, les pratiques abusives détectées feront l’objet de contrôles renforcés. « La contrepartie de la liberté de négociation tarifaire, c’est un contrôle renforcé des pratiques abusives », a martelé le président de la République.
J.- M. Lemétayer : « Il faut aller plus loin »
« Toutefois, l’accord de modération des marges concerne les consommateurs et non les producteurs », a nuancé le président de la FNSEA Jean-Michel Lemétayer. « Il manque un engagement de contractualisation » au sein des filières agroalimentaires, a-t-il poursuivi en espérant que la loi de modernisation de l’agriculture actuellement en discussion au Sénat « permettra d’aller plus en avant » dans ce sens et confortera la politique contractuelle. Satisfaction encore de Jean-Michel Lemétayer sur la promesse de la filière de mettre en avant l’origine française des produits. « Ca va dans le bon sens, si tous les acteurs, industriels et grandes surfaces, jouent le jeu sur l’origine des produits. »
Satisfaction aussi des distributeurs. « Ce que nous avons accepté, c’est de formaliser nos pratiques et de prendre un engagement de baisse des marges en cas de crise », a assuré Jérôme Bédier, le président de la Fédération du commerce et de la distribution. En ajoutant même que l’engagement de modération des marges et l’étiquetage d’origine faisaient partie des propositions de la grande distribution retenues par le chef de l’Etat. Par contre les grandes surfaces refusent le bâton : elles ne veulent pas être taxées, en cas de non-engagement de leur part.
Vous avez été interpellé par des agriculteurs, la semaine dernière, à Montmorillon, et avez accepté de les rencontrer en privé. C’est une chose que vous faites souvent ?
Peu souvent, en fait. Je suis tombé sur des producteurs qui voulaient vraiment dialoguer, sans stratégie syndicale derrière. C’était d’ailleurs un dialogue intéressant, même si la rencontre a été courte. Je pense que nous nous sommes bien compris. Je comprends évidemment les inquiétudes de ces jeunes agriculteurs, face à une crise qui, finalement, était prévisible. J’aime m’intéresser à ces problèmes, et j’ai apprécié ce dialogue.
Le monde agricole parle de plus en plus de contractualisation. C’est quelque chose d’envisageable avec la grande distribution ?
La situation est évidemment différente d’une filière à l’autre. Mais pourquoi pas. Il faut aussi avoir à l’esprit que sans régulation des marchés, c’est voué à l’échec. Le grand problème actuel dans l’agriculture, ce sont les écarts de productivité entre petits et grands agriculteurs, et d’un pays à l’autre. Bien sûr, la grande distribution peut aider en mettant en avant les produits à forte valeur ajoutée.
Vous, et la grande distribution en général, êtes souvent montrés du doigt par les agriculteurs…
Casser du commerçant, ça ne peut pas être constructif. Il y a au contraire quelque chose à bâtir. La chance, en France, c’est que la grande distribution est détenue par des Français. Je pense que les agriculteurs doivent s’attacher au produit final, ainsi qu’aux outils de transformation. Dans la filière lait, par exemple, je pense que les agriculteurs n’ont pas suffisamment gardé la main sur ces outils. Il y a vingt ans, les viticulteurs étaient trop dépendants des cours. Aujourd’hui, plus aucun viticulteur ne se préoccupe des cours du vin. Ils ont réussi à dynamiser la filière. La segmentation a été bien faite, et les prix ne sont plus tirés vers le bas. Ce qu’il faut faire, c’est rendre la rémunération des agriculteurs moins dépendante des aléas des cours.
Les circuits courts, c’est la solution ?
Dans le Poitou-Charentes, les centres Leclerc sont assez pionniers dans ce domaine. Mais il faut aussi être conscient qu’il ne peut pas y avoir que ça. C’est la diversité qui fait vivre un rayon. En Poitou-Charentes, on ne peut pas mettre que des tomates du Poitou-Charentes. Une production ne peut être jugée bonne que si elle est achetée, c’est pourquoi il faut aussi toujours penser marketing et commercialisation.
Propos recueillis par Elisabeth Hersand