La Mer Noire vient sérieusement perturber les marchés traditionnels français
Une « montée en gamme » réclamée pour bâtir une « vraie » filière exportatrice française, concurrentielle : l’idée fait son chemin dans les ports.
Nos maux viendraient de la Mer noire. Non que le fait soit nouveau. Depuis quelques années, la menace de voir les blés français concurrencés par ceux de la Mer noire planait. C’est désormais une réalité que la semaine dernière, tant lors de l’assemblée générale de la SICA Atlantique que de la bourse aux grains, tous les intervenants soulignaient, insistant longuement pourtant sur la qualité des blés français. Mais là où pèche la filière française, c’est dans la régularité. Faut-il accuser la montée qualitative des blés de la Mer noire ? Les exigences des meuneries des pays tiers ? L’absence de critères export dans la filière blés français ? Le tout se mêle, s’entrecroise, sans pour cela dégager de consensus. Les collecteurs renvoient la balle aux opérateurs et à leurs critères, les observateurs souhaiteraient une « vraie filière dédiée »... Les chiffres sont là, réalistes, concrets. Manquent à l’appel des chargements portuaires.
Assurer une continuité
Cette campagne voit aussi remonter les exportations vers le marché intra-communautaire. Alternent périodes d’intenses activités et accalmies, ces à-coups logistiques que les opérateurs portuaires ont du mal à absorber. Lorsque Thierry de Boussac (Lecureur négoce) égratigne la démarche de la filière dans la table ronde de la SICA, il titille aussi l’approche que la France a de l’exportation : celle du ‘‘surplus’’. La priorité donnée aux marchés intérieurs et la recherche aléatoire de la qualité export font selon lui les beaux jours des blés de la Mer Noire. Le combat, à l’écouter, semble déjà perdu. Logistique, qualité sont là, sur le pourtour Mer Noire, pour damer le pion à leur concurrent français au Maghreb ou en Afrique de l’Ouest. Thierry de Boussac réclame de la qualité « avec des critères précis spécial export ». Des surfaces dédiées ? Pourquoi pas, si l’on veut garder une place exportatrice. « Garder une place », une expression qui résonne durement sur les bords des quais rochelais pour les deux opérateurs. « Il nous faut structurer la filière », clamait Luc Servant « mais les prix depuis quelques années manquent à l’appel. » La rupture date de la récolte 2016 où bien des marchés furent perdus faute de quantités et de qualité. Les blés russes ont profité de l’aubaine. Pour Thierry de Boussac, la solution passe par une « adaptabilité des blés français ». Les questions autour des taux d’humidité, de protéines, d’Hadberg réémergent. Pourtant « l’atout français » s’amenuise face à la montée qualitative des blés russes.
L’exportation rapporte pourtant
Se plaçant dans une vision « africaine », Thierry de Boussac s’interroge sur « la volonté exportatrice française ». Et il faut un Vincent Poudevigne, directeur de la SICA Atlantique, pour rappeler que l’exportation française ne se résume pas qu’aux Airbus ou aux Rafales. « Ces marchés sont encore accessibles aux Français », assène-t-il, « même si notre catalogue végétal est trop important. » Une des clés : construire la régularité de notre approvisionnement, sans que « l’export soit le bouche-tiroir ! » Surtout lorsque les défauts de la logistique russe se corrigent peu à peu.
Mettant beaucoup d’espoir dans « l’ouverture du marché » algérien, opérateurs portuaires et organismes stockeurs de l’hinterland rochelais posaient le dilemme : créer une « filière » export. Qui, de l’amont ou de l’aval, doit en décider, donner le ton ? Ira-t-on sur une différentiation des prix pour cette destination ? Le chantier était ouvert. Faudra-t-il comme le suggérait la table ronde et les débatteurs de la SICA remontrer jusqu’aux semis ? « Banco », ironisait Jean-Yves Moizant, le président de Terre Atlantique. « Donnez-nous alors un volume défini, les qualités demandées… et un prix. »
Face à un Thierry de Boussac « bousculant », les parties-prenantes de la SICA acquiesçaient, plus ou moins, le coût, de ce déficit marketing de l’exportation céréalière. C’est une chaîne qu’il faut remailler… pour en finir avec un « net exportable », d’aussi bonne qualité soit-il. Sans non plus se couper les ailes en réduisant le marché rochelais aux seuls échanges intra-communautaires car on peut y apporter les « exigences » sociétales, là où d’autres marchés s’en exonèrent. Luc Servant inverse la donne : « si au lieu de gérer un surplus exportable, nous apportions une réponse à un marché ? » Le marché du blé existe, les opérateurs qui en cette fin de semaine dernière, dissertait sur son existence, tant à la SICA qu’à la bourse aux grains répondaient, en filigrane, à cet « export-bashing » dont longtemps le port rochelais s’est enorgueilli.