La réalité augmentée entre dans les ateliers
La complexité croissante des matériels justifie le recours à des aides à la maintenance comme la réalité augmentée, une technologie pas si futuriste.
En 2011 déjà, John Deere utilisait la réalité augmentée comme outil marketing. Une imprimante et une webcam suffisait à faire apparaître en 3D la dernière moissonneuse-batteuse verte et jaune et ses éclatés. En six ans, la technologie a fait des pas de géant et les industriels de l’automobile et de l’aéronautique multiplient les preuves de concept pour identifier les cas d’usages les plus pertinents. Les épais manuels d’utilisation et les indigestes protocoles de montage laissent peu à peu place à des applications sur smartphone, tablette, casque ou lunettes qui apportent, de manière interactive, les bonnes informations au bon moment et au bon endroit.
Répondre à la complexité croissante des matériels
Le machinisme n’est pas en reste. A Hanovre, au salon Agritechnica, en novembre dernier, Amazone et Case IH ont dévoilé leur vision de l’avenir de la maintenance : le technicien qui intervient sur un engin en panne est guidé, pour le diagnostic comme pour la réparation, par des informations qui viennent s’imprimer sur la réalité qu’il a sous les yeux. En parallèle, il est conseillé par un expert qui, depuis son bureau, à des centaines de kilomètres de là, observe la scène à travers les yeux du réparateur.
Le constructeur allemand Amazone teste ainsi son programme SmartService 4.0 élaboré en partenariat avec Bitnamic, entreprise bas-saxonne spécialisée dans les logiciels d’aides aux opérations à distance. A l’aide d’un smartphone, d’une tablette ou de lunettes de réalité augmentée (voir encadré), le technicien SAV peut contacter un spécialiste de la machine au siège d’Amazone et lui partager en temps réel ce qu’il voit, tout en gardant les mains libres.
Réduire les temps d’immobilisation des machines
«C’est émergent, personne ne l’utilise encore quotidiennement. Nous faisons des essais» précise Emmanuel Lévêque, chef de produits épandeur d’engrais et électronique pour Amazone, «il y a des chances que cela se démocratise : avec la complexité toujours croissante des matériels, l’explosion de l’électronique, la multiplication des capteurs et des interfaces... les agents revendeurs ne peuvent pas tout savoir. »
Aujourd’hui, la chaîne d’interlocuteurs nécessaire à la résolution d’une panne complexe peut immobiliser une machine plusieurs jours, voire plus d’une semaine : concessionnaire, technicien SAV de la marque, expert au siège de la filiale française, expert au siège mondial. Les descriptions téléphoniques sont trop limitées, les images envoyées en pièces-jointes se perdent dans les transferts d’emails… Le principal intérêt de la réalité augmentée est de limiter cette succession d’échanges et de trouver directement la personne qui saura résoudre le problème en temps réel. Les constructeurs comptent ainsi augmenter la satisfaction client en réduisant les temps d’immobilisation des machines. Il s’agit aussi pour eux de minimiser les frais de déplacements de leurs experts qui peuvent ainsi gérer de multiples cas dans une même journée.
«Plus besoin de sauter dans un avion ou de conduire des heures jusqu’à la machine arrêtée» renchérit Günter Keplinger, Service Marketing Manager EMEA pour Case IH. Le géant américain a présenté son «HoloLens project» sur Agritechnica, après six mois de travail avec Microsoft, concepteur du casque de réalité mixte (voir encadré) HoloLens. Coiffé de cet équipement, le réparateur appelle par Skype l’expert distant qui apparaît dans une fenêtre «flottant» dans l’air. Le spécialiste peut alors pointer des éléments ou encore faire apparaître les pièces cachées (derrière la roue par exemple) dans la réalité du réparateur. «Après une première phase pilote menée en Autriche, nous allons étendre l’expérience à quelques-uns de nos principaux revendeurs en Allemagne au premier semestre 2018 » détaille le responsable.
Redonner de l’attractivité au métier
Il est déjà possible de bénéficier de l’apport de la réalité augmentée au champ, à l’aide de tablettes durcies sur lesquelles sont stockées toutes les informations utiles : des notices ou des vidéos apparaissent sur l’écran pointé vers telle pièce, tel levier, tel écran. Mais pour les casques et lunettes, il est encore trop tôt. Ces démonstrations demeurent des preuves de concept. Elles ne concernent que les pannes les plus complexes et l’utilisateur est toujours le technicien et non l’exploitant directement. «Pour le moment, ce n’est pas utilisable au champ» explique Günter Keplinger, «il faut un réseau wifi correct, une zone propre, une faible luminosité… le HoloLens servira pour les machines rapatriées en atelier. »
Quel tempo pour mettre en oeuvre ?
«Il y a des problèmes de poussière, de chaleur, de connectivité» poursuit Grégory Maubon, président de RA’pro, association de promotion de la réalité augmentée. Le Hololens n’est pas assez robuste, les lunettes d’ODG, de Daqri ou d’Epson ont ou auront une certification IP (étanchéité), mais toutes demeurent chères et cela sans compter le coût du développement logiciel nécessaire à toute nouvelle application. La technologie et ses usages doivent encore se démocratiser pour devenir rentable pour les constructeurs.
Serait-il alors urgent d’attendre ? Pas sûr. «Utiliser ces technologies est un facteur d’attractivité pour les recrutements. Cela rend plus sexy des métiers qui souffrent d’un déficit d’image et valorise les opérateurs» a affirmé Antoine Garibal, directeur du développement et de la stratégie de Siemens France lors du AR/VR Business Day, mi-décembre, à Paris. Alors que les concessionnaires s’arrachent les cheveux face à la pénurie de mécaniciens et techniciens, cette piste n’est pas à négliger.