Manifestations
À La Rochelle, deux cortèges, deux ambiances
Moins nombreux qu'attendus, les militants « anti-bassines » qui ont participé à la manifestation interdite le 20 juillet à La Rochelle auront surtout fait parler d'eux pour les dégradations commises en ville par la frange radicale de leur mouvement.
Moins nombreux qu'attendus, les militants « anti-bassines » qui ont participé à la manifestation interdite le 20 juillet à La Rochelle auront surtout fait parler d'eux pour les dégradations commises en ville par la frange radicale de leur mouvement.
Manifester « joyeusement » dans une ambiance de « carnaval » : voilà à quoi appelaient les organisateurs du Village de l'Eau pour la journée du 20 juillet à La Rochelle. Et on s'en approchait un peu sur les promenades du bord de mer lorsque le convoi « familial » s'est élancé, peu avant 13 h. Derrière une poignée de tracteurs ouvrant la marche, deux ou trois mille participants avançaient en musique, répétant des slogans contre les réserves ou le capitalisme. Ici, des personnes masquées, sans doute pour se protéger de la recrudescence du Covid ; là, d'autres qui se promènent avec des bouées en plastique, gonflées ou non, en vue de se jeter à l'eau pour bloquer le port de commerce et ses cargos... Pardon, ses « paquebots », dixit Bassines non merci, qui visiblement s'y connaît autant en navigation qu'en agriculture. Les drapeaux de partis politiques (La France Insoumise, Les Écologistes, le Nouveau Parti Anticapitaliste) flottent aux côtés de ceux des organisateurs (Bassines Non Merci, Soulèvements de la Terre) et de leurs soutiens (Extinction Rébellion, etc.).
Ce défilé croisé par les Rochelais et les touristes est parti quelques minutes plus tôt du parc Charruyer, coulée verte du centre de La Rochelle. Là, les participants ont pu être chauffés toute la matinée durant par leurs meneurs, dans la continuité de ce qui avait eu lieu tout au long de la semaine en Deux-Sèvres.
Le combat du jour ? La lutte contre « l'accaparement » des céréales par les exportateurs, au premier rang desquels le négoce Soufflet.
Un peu avant 7 h, des tracteurs hébergés sur l'île de Ré étaient entrés à La Pallice pour bloquer les installations de la filiale de l'alliance de coopératives InVivo ; ils ont été délogés en milieu de matinée par les forces de l'ordre.
Les réserves, prétextes pour d'autres combats
Mais cette lutte contre l'exportation entre dans un cadre bien plus grand aux yeux des organisateurs. « Ce port est un outil majeur de l'extractivisme néocolonial », dénoncent ainsi les Soulèvements de la Terre dans leur communiqué, en pointant du doigt les flux pétroliers qui arrivent à La Rochelle. Même son de cloche sur un fil info relayé par Bassines non merci, où il est expliqué que La Pallice, « principal port esclavagiste des siècles derniers », « s'est développé sur la richesse de négociants qui faisaient de la traite d'esclaves ». Et peu importe que la construction de La Pallice ait débuté près d'un demi-siècle après l'abolition définitive de l'esclavage ; tant qu'on peut salir par association, pourquoi s'en priver ? Aujourd'hui, « il spécule sur les denrées locales en les exportant dès que les prix sont au plus haut », accusent les militants, qui préféreraient sans doute que les coopératives - et donc leurs adhérents - vendent à perte, voire pas du tout.
Et les réserves de substitution, dans tout ça ? La suite des événements a montré qu'elles n'étaient qu'un prétexte. Alors que le cortège « familial » passait par le bord de mer, un autre avançait directement en direction du port, avec la ferme intention de rétablir le blocus de la matinée. Là, les techniques sont plus musclées. Les abribus et panneaux sont dégradés pour lutter contre la publicité (terme qui, apparemment, ne s'applique pas aux stickers revendicatifs collés par paquets sur tout le mobilier urbain des environs). Des voitures sont dégradées, un conteneur de verre renversé pour fournir des munitions en verre. Un assureur et une banque ont droit à des projectiles, des murs de maisons ont droit à leurs tags. Le summum est sans doute atteint quand les activistes s'en prennent à une petite supérette franchisée, ouverte il y a un mois à peine, pour en piller la caisse et le rayon alcool. « Rappelons que la grande distribution est un rouage important de l'agro-industrie ! », lance le fil info relayé par Bassines non merci, sans mesurer la portée des images relayées par les chaînes infos.
Un bilan plus léger qu'à Sainte-Soline
Le cortège, entravé par la sécurité publique, n'est jamais parvenu au port. Au cours des affrontements, quatre membres des forces de l'ordre et cinq manifestants ont été légèrement blessés ; un bilan bien plus bas que celui de la manifestation de 2023 à Sainte-Soline, ce qui est en soi un succès pour la préfecture. Les organisateurs ont beau crier victoire, on retiendra une fois encore de ce rendez-vous les dégradations qui l'ont accompagné ; même la ville de La Rochelle, pas franchement pro-agriculteurs, a édité dans les heures qui ont suivi le rassemblement un communiqué condamnant ces actes « ainsi que l'intrusion inconsciente et inadmissible dans une maison de retraite ».
« L'entière responsabilité de ces inexcusables événements incombe aux organisateurs qui ont appelé à manifester, tout en sachant qu'elle était interdite et qu'il y avait en leur sein des groupes agressifs venus uniquement dans le but de casser et provoquer des affrontements », a appuyé la municipalité.
Et même avec l'appui de ces « black blocks » issus pour certains d'autres pays européens, même avec la présence de militants venus de toute la France pour renforcer les meneurs de la lutte locale, les manifestants n'étaient qu'autour de 6000 pour ce rendez-vous prévu de longue date et bénéficiant d'une large campagne d'affichage. L'équivalent d'un pourcent de la population de la Charente-Maritime. Dans le match de l'opinion sur les réserves de substitution et, plus généralement, sur l'agriculture française, les « anti-bassines » ont donc probablement marqué ce samedi à La Rochelle un but contre leur camp.