L’agriculture française en « liquidation », selon Xavier Beulin
Après les manifestations d’éleveurs lors de la Nuit de la détresse le 2 juillet, la Fnsea et JA demandent aux transformateurs et aux distributeurs de revaloriser enfin les prix de façon concrète et rapide.
Depuis quelques mois, l’agriculture française s’enfonce dans une crise qui frappe particulièrement les filières animales. « En Bretagne, près de 400 exploitations sont à la porte du dépôt de bilan ! » a déploré Thomas Diemer, président de JA, le 7 juillet pour faire suite aux manifestations de la Nuit de la détresse, le 2 juillet. À l’origine de cette situation, des prix payés aux producteurs trop faibles par rapport aux coûts de production, et des résultats d’exploitation en forte baisse : - 33 % pour les exploitations porcines entre 2013 et 2014, - 17 % pour les élevages bovins allaitants. Même chose pour le prix du lait dont le décrochage avec les charges d’exploitation est croissant depuis six mois. « Aujourd’hui, on est en train d’organiser la liquidation de l’agriculture française ! », s’indigne Xavier Beulin, président de la Fnsea.
Des promesses non tenues
Le ministre de l’agriculture a pourtant réuni à plusieurs reprises les représentants des filières bovine, porcine et laitière avec à la clé des promesses de revalorisation des prix de la part des transformateurs et des distributeurs. Plusieurs enseignes s’étaient ainsi engagées à augmenter leurs prix d’achat de 5 cts/kg par semaine jusqu’à atteindre les coûts de production pour le porc (Intermarché, Leclerc, Cooperl…). Mêmes dispositions pour la viande bovine de la part d’Agromousquetaires et de Super U, ainsi que des promesses de revalorisation de la part de Lidl et de Carrefour. Mais ces engagements n’ont pas été suivis d’effets, « ou quand ça suit, ce n’est pas répercuté aux éleveurs », constate avec amertume Dominique Barrau, secrétaire général de la Fnsea.
L’évolution des cotations témoigne que d’une hausse de 1 centime/kg à peine pour la viande bovine la semaine du 22 juin. La tendance est même repartie à la baisse pour le porc depuis le 25 juin. Et quand on demande aux syndicats agricoles si, parfois, ils ne se sont pas trompés de cible en s’attaquant surtout aux distributeurs, Xavier Beulin répond que « c’est aussi pour ça que nous voulons de la transparence ». « On veut savoir qui ment, qui triche, mais c’est au ministre de faire la part des choses », renchérit Dominique Barrau. Car la colère des producteurs est particulièrement tangible, et Xavier Beulin, qui n’a « jamais connu autant de sollicitations en tant que responsable agricole », a pu le constater à Saint-Brieuc le 2 juillet, quand un jeune éleveur désespéré de ne pouvoir vivre de son métier l’avait vivement interpellé - « à juste titre », note le président de la Fnsea- sur l’urgence de la situation.
Un débat au Parlement
Pour les deux organisations, l’urgence c’est le court terme. « Pas dans 15 jours, pas dans trois semaines, demain matin », insiste Xavier Beulin. Et cette urgence porte sur les prix : « les prix sont nécessaires sur les exploitations pour avoir une bouffée d’oxygène, investir et installer les jeunes », rappelle Thomas Diemer. Sans que cela n’impacte par ailleurs le pouvoir d’achat du consommateur : un centime d’euro par tranche de jambon et deux centimes par steak haché seraient suffisants pour donner un peu d’air aux éleveurs français. Xavier Beulin propose même des rachats de dettes pour relever la trésorerie des agriculteurs.
A moyen terme, les syndicats ont demandé la tenue de deux débats, à l’Assemblée nationale et au Sénat, pour faire de l’agriculture une véritable cause nationale. Le président du Sénat aurait déjà donné son accord pour organiser l’événement avant la fin de la session parlementaire actuelle. Car si l’agriculture doit de son côté se restructurer pour être plus performante, elle a aussi besoin de mesures de simplification et d’allégements de charges. En attendant une amélioration effective de la situation, la mise sous surveillance des opérateurs (transformateurs, distributeurs) par les agriculteurs se poursuit. Les syndicats attendent également les premières conclusions du médiateur des relations commerciales agricoles saisi par Stéphane Le Foll et qui doit faire le point avec le ministre de l’agriculture, cette semaine pour la filière bovine, la semaine prochaine pour la filière porcine.
« Partagez vos marges » : second épisode des Jeunes Agriculteurs
Dans la nuit du jeudi 2 au vendredi 3 juillet, 60 JA des Deux-Sévres et leurs 22 tracteurs sont revenus à la charge afin de bloquer les quais de livraison de la base Intermarché de Gournay et des 5 GMS de Parthenay (Leclerc, Hyper U, Hyper Casino, Lidl, Leader Price). Un colis de pneumatiques usagés a aussi été déposé devant l’abattoir de Parthenay.
Cette 2e action à quelques jours d’intervalle faisait suite à celle de la nuit du 24 au 25 juin à l’initiative de Jeunes Agriculteurs Poitou-Charentes. Elle s’inscrit dans le cadre de l’appel à mobilisation de JA national « La nuit de la détresse », pour demander le respect des engagements pris. « Une semaine après la première mobilisation, le constat reste déplorable », estime Julien Chartier, président de JA 79. « Au lieu d’une hausse annoncée de 0,05€/kg de viande bovine chaque semaine, la hausse est d’un centime par kilo en moyenne, selon les cotations de France-Agrimer rendues publiques le 1er juillet. Et sans parler des prix des autres viandes ou du lait dont les prix dégringolent de 30 centimes par litre pour le lait ».
Julien Chartier se félicite de l’ampleur de la mobilisation qui « malgré la période des moissons peu propice à la disponibilité a vu l’implication de nombreux jeunes en cours d’installation ou souhaitant s’engager dans le métier. Cela prouve leur détresse face aux prix non rémunérateurs et aux politiques des acteurs de la filière, dont les GMS, qui n’encouragent pas les vocations et le maintien de l’élevage sur notre territoire », a-t-il expliqué.
Pour le président de JA 79, l’action du 2 juillet « n’est qu’une étape ». Il prévient que les jeunes agriculteurs du département « resteront mobilisés afin de maintenir la pression sur la distribution ». « Les directeurs de magasins se gargarisent de quelques contrats directs avec des éleveurs mais le volume ne représente quasiment rien. En plus, ils en profitent pour faire du chantage », poursuit-il. « Les autres acteurs, dont les abatteurs, sont aussi mis sous surveillance », annonce-t-il.