Les irrigants pris pour cible
Arrêtés de restriction d'usage, mobilisation des anti-bassines... Les tensions autour de la question de l'utilisation de l'eau en milieu agricole incitent certains vandales à s'en prendre au matériel d'irrigation. À Varaize, Alexandre Villain en a fait les frais.
Tuyaux coupés, batteries volées, capteurs débranchés... Sur les parcelles, le matériel agricole est souvent exposé au vandalisme. Les dégradations sont fréquentes, mais il est difficile de connaître l'ampleur précise du phénomène. Alors, faute de chiffres, il faut parfois un coup de gueule pour faire bouger les choses. C'est l'option qu'a choisi Alexandre Villain après avoir découvert l'attaque perpétrée sur l'un de ses enrouleurs dans la nuit du 9 au 10 août dernier. Il soupçonne un acte isolé, commis par une personne ne connaissant pas le fonctionnement d'une telle installation. « Il a pris une des poignées pour fracturer la boîte de protection, exploser l'ordinateur, le panneau solaire, et a tordu des manettes hydrauliques. Ça reflétait plus de la colère que de l'envie d'arrêter le système, qui continuait à tourner. » Il chiffre les dégâts à environ cinq mille euros, dont une partie seulement sera remboursée par les assurances.
L'agriculteur et entrepreneur des territoires de Varaize a publié, le matin même, les photos des dégradations sur Facebook, accompagnées d'un message clair rappelant notamment « que cet enrouleur est sur une parcelle d'essai/recherche pour trouver des variétés plus résistantes à la sécheresse... J'avais d'ailleurs affiché la dérogation donnée directement par les services de l'État. » Il a annoncé dans le même temps son intention de porter plainte.
Des agriculteurs qui subissent en silence
Alexandre Villain a parfaitement conscience de ne pas être le seul agriculteur confronté à ces dégradations. Dans son voisinage et son entourage, les exemples sont multiples. « Les tuyaux d'un voisin proche ont été coupés trois ou quatre fois depuis le début de la campagne fin juin », explique-t-il. Chez un autre, ce sont les écrous d'une roue qui ont été volontairement dévissés (mais pas retirés). Plus loin, un agriculteur-chasseur a surpris des vandales qui s'apprêtaient à commettre d'autres dégradations. Il les a fait fuir en tirant en l'air. Et ce ne sont là que quelques-uns des faits dont il a entendu parler. « Les gens ne le disent pas forcément, mais ils subissent. » Et s'inquiètent... « J'entends beaucoup d'agriculteurs autour de moi qui font les traitements la nuit ou tôt le matin pour ne pas avoir de bras d'honneur, d'insultes ou de jets de bouteille. »
Face à cette résignation, Alexandre Villain prône une réponse calme et mesurée : « il ne faut pas se laisser faire, il faut porter plainte. Si on tombe sur la personne qui est en train de dégrader, il faut s'arranger pour que la gendarmerie l'arrête, mais en restant dans la légalité. » Il a lui-même fait une déposition dans les règles, même s'il ne se fait pas d'illusions sur le résultat : « je pense que les gendarmes font ce qu'ils peuvent, mais qu'ils s'en fichent un peu car de toute façon ils ne trouveront pas les coupables. » Toutefois, selon lui, cette ligne non-violente doit être tenue, car des répliques violentes de la part des agriculteurs pourraient provoquer une escalade dangereuse. « Elle serait vite mâtée par les pouvoirs publics, estime-t-il, qui interdiront aux agriculteurs de se rebeller. »
En attendant de trouver une solution, l'inquiétude persiste. Certes, les agriculteurs ne sont pas les seuls professionnels victimes d'une recrudescence de la violence sociale ; les bouchers, pompiers, professeurs ou ambulanciers ont notamment été victimes de pareils actes ces derniers mois. Mais se retrouver dans ces catégories ciblées par la vindicte ''populaire'' ne rassure en rien Alexandre Villain. Amateur d'histoire, il voit dans ces attaques contre l'outil de travail de sinistres résonnances du passé et craint que, comme alors, les attaquants passent des biens aux personnes. L'agression subie par son collègue entrepreneur Pascal Garnier au printemps dernier (voir notre édition du 31 mai 2019) laisse penser qu'une première marche a déjà été franchie. « Est-ce que demain ils s'en prendront à nos salariés, à nos familles ? »