Les poulets qui voulaient voir le monde
Que font les poulets de chair lorsque la porte est ouverte sur les champs ? L’Inra les a équipés de puces traceuses et dévoile leurs allers et venues.
Depuis la célèbre poule pondeuse Vedette de la fin des années 60, le site de l’Inra du Magneraud a toujours eu des volailles. Mais actuellement, dans l’unité de Karine Germain, celui de l’EASM*, c’est davantage sur leurs comportements à l’extérieur que l’on se penche. La thématique existe depuis 2009 et l’obligation de «parcours» attenants aux bâtiments avicoles pour les poulets de chair bio, qui a changé la donne et obligé à «avoir un système plus durable». Passer d’une obligation réglementaire à une occasion de créer une meilleure image des élevages avec une efficience économique et de la biodiversité : voilà tout l’enjeu de l’opération.
Mais une fois la porte ouverte sur les champs, les poulets sortent-ils, vont-ils se balader, se regroupent-ils, rentrent-ils ? Certains sortent, mais restent 5 à 10 m autour des trappes. Pourquoi ? Autant de questions auxquelles les ingénieurs et techniciens de l’Inra répondent - ou tentent de le faire - avec une batterie d’expérimentations : scan simpling, mesures de comportements à différents âges, du lever au coucher du soleil. La plateforme multicritères Alteravi scrute la moindre velléité de promenade. Gérée par l’EASM, cette expérimentation-système comporte huit bâtiments mobiles de 75 m² ouverts sur huit parcours extérieurs de 2 500 m² : 4 parcours extérieurs en prairie, et 4 parcours extérieurs arborés. Des poussins aux poulets élevés, ils passent une soixantaine de jours sous les jumelles et les capteurs par puces implantés sous l’aile, émettant un signal toutes les 10 secondes. «Nous avons une thèse en cours pour apprécier la capacité cognitive des poulets», annonce Karine Germain. «On a pu déterminer deux catégories : les poulets explorateurs et les poulets casaniers.» L’idée est à terme de sélectionner des animaux «plus explorateurs».
Tout est là. L’un jette un œil sur l’espace extérieur, visualise les chemins, les emprunte à l’ombre d’une haie ou de quelques arbres, mange ce qu’il trouve et revient. L’autre, peut-être avec son sens inné de prédateur, estime que le jeu n’en vaut pas la chandelle et se cantonne au bâtiment et à la nourriture servie… 60 % des poulets sont dans la seconde catégorie.
Ils préfèrent les parcours arborés
Être explorateur n’est pas facile : on s’expose aux parasites, aux risques de grippe aviaire, aux buses, aux renards même si les clôtures ne sont pas hermétiques… Être explorateur a aussi des avantages : on est plus robuste, moins gras. Des «performances» accrues si l’on est dans un parcours arboré. «Les éleveurs sont demandeurs de données sur les parcours et leur gestion. Nous avons des conseillers qui ont édité une brochure sur les parcours et quelles implantations d’arbustes ou d’arbres.» Et les quelques essais dans l’agroforesterie montrent que les poulets apprécient. «Il n’y a pas de comportement absolu», concède Karine Germain. «Nous ne savons pas vraiment ce qui déclenche la sortie.» Et fermer les portes a été tenté, mais cela s’est avéré peu concluant car la trouille est communicative. «Les zones d’ombre apportent de la confiance et sécurisent les aménagements.»Elle ne veut pas parler de «libre-arbitre» du poulet (Un concept trop empreint d’anthropomorphisme), mais constate que tout n’est inné. Plus il y a de poulets explorateurs, plus il y a un effet d’entrainement. Les explorateurs passent le double de temps dehors par rapport à un casanier. «Nous n’avons pas identifié le levier de sortie…», indique Karine Germain. Rien ne permet encore dire si l’effet de nouveauté génère plus d’explorateurs. La promiscuité comme incitation à la découverte. «Les explorateurs à 35 jours, le sont toujours à 63 jours… Ils ne lassent pas», s’amuse-t-elle.
Un temps, consignés manuellement par étiquettes, les parcours sont aujourd’hui tracés électroniquement et font l’objet d’études statistiques. D’où quelques hypothèses à vérifier : «peut-être les poulets casaniers ont-ils une meilleure appréciation cognitive de leur environnement et le jugent plus hostile, alors que les poulets explorateurs ne percevraient pas cette globalité ?» En tout cas, les mâles seraient les plus explorateurs.
Un jogging salutaire
Ce que font les poulets explorateurs intéresse, ce qui rend le parcours «attractif» tout autant. Surtout le couvert végétal. Les poulets sortent-ils pour «voir», ou pour manger autre chose, à la recherche de protéines, pour muscler les cuisses ? «Nous voulions aussi trouver une alternative aux tourteaux de soja, base de l’alimentation. Une bonne gestion des parcours amène une plus-value à l’élevage et donc aux poulets.» Les premiers résultats ont été présenté au salon Tech&Bio : «On constate que 10 % de la consommation de matières sèches pour les poulets explorateurs peut se faire dans les parcours. C’est significatif. Il faut compléter en montrant que l’on peut améliorer l’indice sur la base des aliments actuels, sans diminuer la quantité, grâce aux parcours aménagés.» Ainsi, l’unité de l’Inra a testé la végétation implantée : arbres, arbustes, plantes aromatiques. Ail, tanaisie, fenouil grec - très prisé par les téméraires -, du thym – on s’y couche dessus, mais on mange pas -, etc. «Cela a une certaine appétence, limite les quantités d’aliments achetés, joue un rôle d’antiparasitaire et d’automédication.»L’étude devrait se poursuivre pendant un bon moment encore. La thèse qui débute planche sur la mémoire du parcours : «il s’avère que les explorateurs ont moins de mémoire que les casaniers. Ces derniers ont plus conscience de leur environnement et de la peur.» Elle caricature : «les explorateurs sont peut-être plus inconscients.» Bientôt, des puces diront s’ils suivent toujours le même parcours.
*Unité expérimentale Élevage alternatif et santé des monogastriques