Portrait
Paul Georgelet, créateur de fromages
Avec ses 500 chèvres et son équipe, Paul Georgelet produit ses fromages avec passion. Un parcours professionnel riche pour cet homme excessif au savoir-faire qui ne cesse de s'affiner. "Chaque jour, je taille ma pierre", dit-il.
Paul Georgelet, même quand le rendez-vous est fixé sur ses terres, ne peut s'empêcher d'être en retard. " C'est le petit quart d'heure de Paul ", sourit-il derrière ses bacchantes nuageuses. On le lui pardonne bien facilement puisque l'accueil est chaleureux dans son bureau mieux rangé que lors de notre dernière rencontre. Un rangement que le soixantenaire semble vouloir appliquer à tous les domaines de sa vie. "Je veux rassembler ce qui a été épars", ajoute l'homme qui sent la sagesse gagner peu à peu son âme. " Il va falloir que je songe à transmettre mon entreprise, c'est peut-être pour cela que je mets de l'ordre. Il faut que je délègue." Paul Georgelet, à la tête de la Sarl éponyme, veut transmettre tout ce qu'on lui a donné tout au long de son parcours professionnel. "C'est grâce aux hommes que j'en suis là et aujourd'hui, c'est mon devoir d'être là pour les générations futures", confie-t-il tout en pinçant ses moustaches du bout des doigts. Il sera alors le parrain de son Sarl pour une transmission tout en douceur mais également de qui le choisira. Et sa seconde filleule vit à Toronto. "Elle m'a contacté via internet, elle veut que je l'accompagne dans la création de son élevage de chèvres. Je pars chez elle au Canada en janvier prochain." Tokyo, la Belgique, l'Angleterre , l'Allemagne, font également partie des prochaines escales du fromager. "Je connais mes importateurs, j'aime aller à leur rencontre", clame celui qui défend le modèle selon lequel "on peut faire du commerce en étant amis". Idem avec ses clients qu'il quitte, sur les marchés de l'île de Ré ou de Saint-Jean d'Angély, les larmes aux yeux. La vente de fromages avec Paul Georgelet n'a rien à envier à une bonne tranche de théâtre de boulevard.
Mais ce Paul qui semble infatigable, le sourire arrondissant toujours ses moustaches, est à fleur de peau, les yeux trahissant souvent l'émotion. Surtout quand il évoque son père. Il débutera même l'entretien en brossant le portrait de l'auteur de ses jours. "Mon père est devenu agriculteur sur le tard, il avait des idées marginales, des idées différentes. Il a voulu être un homme libre, il l'a été", souligne l'agriculteur qui lui aussi a décidé de ne pas rentrer dans une case. Quand il parle de ses parents, l'éleveur de chèvres revoit "la petite maison" à la porte toujours ouverte, ici route de la Caille, à Villemain, "le petit porte-monnaie" sur le buffet dans lequel juste de quoi faire vivre la famille. "Et pouvoir accueillir les amis autour de la table. J'ai vécu d'une manière extraordinaire avec rien." Entre un père "toujours dans sa bulle" et une mère "véritable tâcheronne", il poursuit aisément sa scolarité jusqu'en terminale E tout en travaillant dur sur l'exploitation. "Je voulais que mes parents réussissent", dit-il. Et celui qui s'était promis de ne pas quitter cette terre s'installe avec ses parents en 1972. "Mon père ne voulait pas que je m'installe avec eux mais en fait, il n'a pas eu le choix car suite à quelques démêlés, il a racheté l'exploitation sur laquelle il était en fermage. Il fallait alors développer l'exploitation." Et à la question de son père : "Maintenant qu'est-ce qu'on fait?" Paul a répondu: "Du fromage!"
Une attirance pour la difficulté
Alors que son entourage l'en dissuade, Paul achète un bouquin sur le caillage et bricole sa première fromagerie. "Plus on me dit vas-y pas, plus j'y vais! J'aime les problèmes et les défis!", martèle-t-il avec une certaine assurance. Et c'est en s'installant aux côtés de la poissonnière de Chef-Boutonne, à laquelle il a probablement emprunté la gouaille sur les marchés, que l'aventure fromagère débute. Les fromages se dégustent à Paris, l'affaire se développe. Et Pierre Androuët, le pape du fromage, lui suggère un jour de Concours général agricole à Paris, de faire revivre le mothais-sur-feuille. Ce que Paul fera : "Je suis tellement curieux que j'apprends à le faire, en écoutant notamment les grands-mères". Pour ce fromage crémeux, Paul se bat encore aujourd'hui afin qu'il décroche l'AOP : "On l'aura, tant que le vieux sera là on se battra!"
Le "vieux", comme il dit, a plutôt la fougue de la jeunesse. "De la passion", précise-t-il. Les rançons de cette passion : ses penchants égoïstes et colériques selon lui. Et l'excès, toujours l'excès. Paul Georgelet avoue être "trop" dans le bon comme dans le mauvais. "J'ai d'ailleurs eu plusieurs alertes concernant ma santé", déclare celui que le travail tient debout chaque jour. Et puis c'est une culture familiale citant son grand-père : "Il me disait, si tu dors de trop, tes yeux vont pourrir dans ta tête". Un dicton qui guidera ses pas tout au long de son parcours professionnel. Il accumulera les responsabilités : vice-président du Syndicat de défense de l'AOC Chabichou du Poitou, membres des conseils d'administration de l'Association nationale des appellations d'origine laitières françaises et du Comité national des produits laitiers.
Celui qui a grandi devant les difficultés tient au modèle de la ferme de polyculture-élevage: "Toute ma vie, j'ai défendu la profession et ce modèle d'agriculture. Et à 60 ans je suis révolté de voir des éleveurs trimer et ne pas réussir à boucler leur fin de mois. Je continuerai à défendre cet idéal ainsi que celui du circuit court. Je n'ai jamais mis l'un de mes fromages sur les étals des grandes surfaces et je n'en mettrai jamais!" Parole de Georgelet.