Portrait
Philippe Charles, le goût des autres comme art de vivre
Installé à Périgné, Philippe Charles, par son engagement, sert le métier d’agriculteur. Rencontre avec un homme dont la vie s’est forgée au fil des rencontres.
La vie de Philippe Charles n’est pas un long fleuve tranquille. Pour preuve. A l’Earl La Roseraie à Périgné, à peine commencée, la conversation est interrompue par un coup de fil. L’homme à la soixantaine naissante y parle irrigants, agence de l’eau, retenues… Son quotidien en somme, sa vie qu’il n’a pas choisie somnolente mais plutôt combative. « Je me suis engagé dans ce combat non pas pour servir ma personne mais pour que le métier d’agriculteur soit reconnu et pour qu’on arrête de nous taper dessus, nous les irrigants », déclare le président de l’Association des irrigants des Deux-Sèvres (Aids) et président de la Coop de l’eau. Et d’ajouter une troisième casquette : « Je suis également président d’un syndicat de rivière (Ndlr, syndicat mixte d’alimentation en eau potable 4B) ». Une responsabilité qui l’a encore plus ouvert au monde en particulier lorsque « nous avons accueilli des personnes en insertion dans le cadre de travaux sur les berges ». Des gens cabossés dont un jeune garçon tout juste sorti de prison qui lui aura donné une vraie leçon de vie. Une belle relation qui sera poursuivie par des échanges épistolaires. « Cette expérience m’a ouvert les yeux. Quand on est agriculteur, on peut avoir tendance à s’enfermer dans son métier. Or il faut savoir communiquer », confie-t-il.
Humaniste, l’agriculteur qui se bat pour que soient créées des réserves de substitution aime à construire des ponts entre lui et les gens. Des ponts qu’il aime parcourir de droite à gauche et de gauche à droite. De droite il l’est, droit il l’est avec les hommes et les femmes quelle que soit leur sensibilité politique. « Je suis prêt à discuter avec tout le monde, je connais des gens de gauche formidables », déclare-t-il en citant en exemple Jean Glavany, ministre de l’Agriculture sous Jospin, et Philippe Martin, le député au rapport sur l’eau bien accueilli par la profession désormais ministre de l’Environnement. Le plaisir de la rencontre dépasse tous les clivages politiques, Philippe rêvant même parfois à un unique syndicat agricole pour défendre le métier. « Il y a plusieurs formes d’agriculture mais un seul combat, nous sommes tous dans le même bateau », déclare-t-il avant d’enchaîner sur l’ex-ministre de l’Environnement. « Nous n’étions pas d’accord, elle est compliquée. Quand Delphine Batho nous disait qu’elle était contre les réserves, je ne pouvais pas comprendre. L’eau est nécessaire à la culture des céréales et la France a économiquement besoin de ses exportations céréalières. Qu’on dénigre la culture du maïs me met en colère », martèle l’homme tranquille au caractère bien trempé surtout quand il s’agit d’histoires d’eau.
Un héritage familial
Les rencontres ont été son fil d’Ariane. Ses parents ont d’ailleurs été une rencontre décisive. Philippe Charles a été un enfant qui s’est très tôt intéressé à la vie de ses géniteurs.
« Ma mère était institutrice et mon père était agriculteur », souligne-t-il. Et ce sera comme une évidence, le petit Philippe choisira de suivre les bottes de son père plutôt que les dictées de sa mère. « Je n’aimais pas l’école. En revanche, la nature me passionnait. J’aimais être dehors, aller au champ avec ma grand-mère, me cacher avec les cousins sous les remorques de paille. » L’odeur de la paille, une sorte de madeleine de Proust pour cet homme qui évoquera ensuite avec émotion la disparition de ses parents. Et de poursuivre :
« Ma mère était conseillère municipale, mon père était à la Fdsea et administrateur d’une coopérative ». Il héritera donc du métier de son père et du virus de l’engagement des deux auteurs de ses jours. L’engagement sera même plus fort que son métier puisqu’aujourd’hui, il confie, derrière ses moustaches poivre et sel, que le développement de son exploitation en a peut-être pâti,
« les semaines sont compliquées, quand on s’engage il faut être présent aux réunions ».
« Mais si c’était à refaire, je referais pareil », déclare l’éleveur de vaches laitières et céréalier, père de deux enfants.
Au suivant
« J’ai 61 ans et je n’ai pas vu passer la vie », glisse-t-il entre ses dents du bonheur. Concernant son exploitation, il compte prendre sa retraite à 65 ans. Son fils Victor, poursuivant aujourd’hui des études d’agriculture, prendra peut-être la suite. Quant à la présidence de l’Aids et la Coop de l’eau, « j’aimerais bien que quelqu’un prenne le relais ». Lui qui a succédé à Pierre Trouvat à la tête de l’Aids, lui qui a été largement inspiré par Raymond Baudrez, agriculteur qui a défendu la cause des irrigants… Pour l’instant, celui qui succédera à Philippe Charles est un mystère. Mais avant de passer le relais, avant d’occuper sa retraite à taquiner le goujon et à rencontrer encore d’autres personnes - « peut-être que je vais me tourner vers des associations pour aider des jeunes en difficulté » - Philippe Charles, « que les combats menés n’ont pas usé », veut voir fleurir les six réserves en projet sur la Boutonne. Un irrigant de cette envergure ne jette jamais l’éponge.