Histoire locale
Un magnat du champagne sur les terres du cognac
Pierre Taittinger, créateur de la célèbre maison de champagne éponyme, fut également maire, pendant près de trente ans, de St-Georges-des-Coteaux. Retour sur un parcours trouble, entre réussite financière et Collaboration.
Pierre Taittinger, créateur de la célèbre maison de champagne éponyme, fut également maire, pendant près de trente ans, de St-Georges-des-Coteaux. Retour sur un parcours trouble, entre réussite financière et Collaboration.
Si vous vous promenez dans les rues de St-Georges-des-Coteaux, inutile de chercher celle qui porte le nom de Pierre Taittinger : elle n’existe pas. Difficile d’imaginer que le créateur de la maison de champagne renommée a non seulement vécu ici, mais qu’il a de plus été maire de la commune pendant près de trente ans (1919-1937 et 1953-1965) ! Une absence d’hommage local qui s’explique aisément par le parcours plus que trouble de l’homme.
Né à Paris en 1887, originaire de Moselle (alors allemande), Pierre Taittinger s’installe à Saintes au début des années 1910 en tant que négociant de vins. Mais c’est son mariage avec une fille de la bourgeoisie locale, Gabrielle Guillet, en 1917, qui l’établit définitivement dans le secteur. Son beau-père, Jules Guillet, est un négociant de cognac (la maison Rouyer-Guillet, aujourd’hui fondue dans la Compagnie de Guyenne, fut un temps l’une des plus importantes de la région délimitée), mais aussi le maire de St-Georges-des-Coteaux. Après sa mort en 1918 et la fin de la guerre quelques mois plus tard, Pierre Taittinger lui succède à ce poste.
De sensibilité bonapartiste, le jeune négociant en vins avait déjà tenté de se faire élire, dès 1914, comme député de Saintes, sans succès. Avec sa nouvelle assise locale, il y parvient fin 1919 au sein de la « chambre Bleu Horizon » (comme la couleur des uniformes des Poilus, dont il fit partie), avec le soutien de journaux qu’il a acquis. Au même moment, il devient conseiller général du canton de Saintes. Mais avant tous ces mandats civiques, c’est à des responsabilités professionnelles qu’il avait accédé un peu plus tôt, au mois de juillet, en devenant président du syndicat agricole de Saintes.
Le maire de St-Georges-des-Coteaux a cependant des ambitions qui dépassent l’échelon locale.
Il se fait réélire député en 1924, mais cette fois de la Seine (Paris)... Sans quitter ses fonctions en Charente-Inférieure ! La dénonciation du cumul des mandats n’était pas encore entrée dans les mœurs...
Il devient administrateur de plusieurs sociétés : les chocolats Suchard, des entreprises spécialisées dans l’hydroélectrique ou les navires à vapeur, plus tard dans des grands magasins célèbres comme Le Bon Marché et les Grands Magasins du Louvre ; sur le tard, il est président-directeur-général des fameux hôtels parisiens de Crillon et Lutetia. Mais c’est le champagne qui va lui assurer une postérité, lorsqu’il rachète en 1932 la maison Forest et Fourneaux qui prend son nom.
Des ligues à la Collaboration
Politiquement, le succès semble aussi au rendez-vous dans l’entre-deux-guerres. Président de la section jeunesse de la Ligue des patriotes, il en fait un mouvement indépendant, les Jeunesses patriotes, qui deviennent l’un des principaux mouvements nationalistes et anticommunistes français. Dans les années 1930, il fonde un premier Front national et se rapproche de personnalités qui deviendront, pendant la Seconde guerre mondiale, quelques-uns des plus féroces collaborateurs : Jacques Doriot, Philippe Henriot ou Xavier Vallat.
Pierre Taittinger fait ainsi partie des parlementaires qui ont, en juillet 1940, voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, dont il était déjà auparavant le soutien. En mai 1943, il accepte la présidence du conseil municipal de Paris ; il est en quelque sorte maire de la ville, à une époque où cette fonction n’existait pas. Il occupera cette fonction jusqu’à la Libération en août 1944. Après-guerre, Pierre Taittinger cherchera à défendre son action à travers un livre, Et Paris ne fut pas détruit ; il y affirmera avoir été l’un des acteurs de la décision du général von Choltitz de désobéir aux ordres d’Hitler concernant la ville. Pas de chance pour lui : aux yeux du grand public, c’est un autre ouvrage, Paris brûle-t-il ?, qui devient la référence concernant la libération de la capitale. Il n’apparaîtra même pas dans le film qui en fut tiré...
Frappé d’inéligibilité, déchu de ses fonctions nationales, c’est finalement en Charente-Maritime qu’il finira sa carrière politique, là où elle avait commencé : il est réélu conseiller municipal et maire de St-Georges-des-Coteaux en 1953, lors d’une élection à laquelle il n’était même pas candidat. Il le restera jusqu’à sa mort, début 1965, à Paris... Loin de la commune qui lui était restée fidèle et dont il avait fait son tremplin politique.