Magazine
Visite à un fossile bien vivant
La seule espèce de tortue terrestre française vit à l'état sauvage dans le Var. Un village conservatoire-lieu de visite permet de mieux les connaître sans les mettre en danger.
Qu'est ce qui existe depuis environ 200 000 ans, a une carapace, adore le soleil et aime l'herbe fraîche et les fruits ? Ceux qui ont répondu la tortue ont gagné. Mais celle qui perd, c'est l'espèce elle-même. Les « testudines » pour employer leur nom savant sont en danger dans de nombreux endroits dans le monde. Selon la liste rouge des espèces en danger inventoriée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et le ministère de l'Environnement, la tortue terrestre est « en danger » en France. Cependant, il existe un endroit où l'on peut la découvrir sans risquer de la blesser... C'est le village des tortues (1), à Gonfaron (83). Ouvert toute l'année, ce centre de préservation et de reproduction offre la possibilité aux curieux de découvrir cette tortue et de nombreuses autres espèces.
La tortue d'Hermann
En France, la seule tortue terrestre encore existante (testudines hermanii) a choisi la Méditerranée comme lieu de résidence. Elle est présente dans le département du Var et en Corse. Son territoire européen compte aussi l'Italie et l'Espagne. Elle a complètement disparu des Pyrénées-Orientales. On la trouve dans le massif des Maures, et notamment la plaine des Maures. Un habitat idéal où elle peut prendre le soleil sur les roches rouges qui affleurent et se nourrir des herbes et fruits qui constituent l'essentiel de son alimentation.
Elle consomme aussi quelques insectes et cailloux. Néanmoins, elle figure sur la liste des espèces en danger : incendies, urbanisation galopante, collecte par des personnes qui méconnaissent sa raréfaction, mais aussi destruction des oeufs par des prédateurs divers (renards, fouines, chiens) l'ont décimée... « Dans le Var, cette pression est bien plus forte qu'en Corse où les milieux naturels sont davantage préservés », expliquent les chercheurs. La tortue d'Hermann est très reconnaissable à sa carapace jaune et noire. Elle vit une cinquantaine d'années et mesure entre 13 et 20 cm à l'âge adulte pour un poids de 2,5 kg. Comme la plupart des tortues terrestres, la femelle est plus grande que le mâle. C'est une espèce qui vit le jour. Elle s'active de mars à la mi-novembre puis hiberne dès que les températures baissent fortement.
Une préservation européenne
En septembre, les équipes de Life+, un programme de préservation européen de la nature se sont rendues dans les Maures pour faire un bilan des travaux d'amélioration du milieu de vie de la tortue d'Hermann. Lancé en 2010, ce programme spécifique doté de 2,7 millions d'euros et financé à 50 % par la Commission européenne, a été réalisé en grande partie. Il s'agissait de préserver 5 sites classés Natura 2 000 à l'usage de la tortue d'Hermann : renforcement de la strate herbacée, création de points d'eau, ouverture du milieu...
Pour évaluer l'impact de ces mesures, un suivi démographique est réalisé, dix fois par an sur les 5 zones concernées. Les équipes de terrain indiquent que : « La situation est préoccupante en Provence. L'espèce a quasiment disparu du massif de l'Estérel et du massif du Tanneron. Dans le massif des Maures, la tendance est au déclin. Cette régression est particulièrement importante sur le littoral où plusieurs populations connues dans les années 1980 ont aujourd'hui disparu. Cependant, d'importants noyaux de populations sont présents dans le Var notamment en Plaine des Maures. Cette tendance n'est pas irréversible. La mise en place de mesures de protection et la mise en oeuvre d'actions de conservation peuvent enrayer ce processus de déclin. »
L'espoir est là, reste à sensibiliser encore plus la population pour la préserver et pouvoir encore admirer au hasard d'une balade sa carapace colorée dans la plaine des Maures.
(1) Ouvert tous les jours, de 9 à 18 heures. Entrée 12 euros par adulte, 8 euros par enfant.
Tél. 04 94 78 26 41
Les tortues en danger dans le monde
En 2011, les plus grands spécialistes mondiaux des tortues ont découvert que près de la moitié (45 %) des populations menacées de tortues se trouvent dans le nord de l'Océan Indien. L'étude a aussi déterminé que les menaces les plus importantes pour l'ensemble des populations des tortues marines sont les captures accidentelles par des pêcheurs qui ciblent d'autres espèces, et le prélèvement direct de tortues ou de leurs oeufs pour les manger ou pour le commerce de l'écaille. Ce travail a été réalisé par le Groupe de spécialistes des tortues marines de l'UICN (Union international pour la conservation de la nature), avec le soutien de Conservation International (CI) et de la National Fish and Wildlife Foundation (NFWF). Il s'agissait de recenser les populations les plus menacées pour engager ensuite des projets de conservation des espèces.
La longue histoire de la tortue
Selon les scientifiques, la tortue d'Hermann est installée en France au temps des dinosaures. Sa taille et sa capacité d'adaptation lui ont permis de résister à tous les changements terrestres. Au Pléistocène moyen (200 000 à 120 000 ans), elle débordait largement l'aire méditerranéenne, jusqu'à la Charente et la Corrèze au nord-ouest. En Corse, sa présence est attestée dans un gisement du pléistocène moyen (300 000 ans). Elle est encore mentionnée à l'époque antique dans les Bouches-du-Rhône et dans l'Hérault. Les restes archéologiques les plus tardifs concernent l'Aude et l'Hérault (Moyen-Âge). Sa longévité a fortement marqué l'inconscient collectif : en France, elle est surtout synonyme de lenteur ; dans le reste du monde, elle représente la sagesse, l'immortalité et porte souvent le poids du monde sur son dos. En posséder une chez soi était tabou dans certaines populations indiennes du désert. La garder prisonnière revenait à s'attirer le malheur. Une croyance qui n'a pas cours en Europe où l'on achète une tortue pour le petit dernier sans penser à sa longue vie. C'est très visible avec les tortues marines jetées ensuite dans les cours d'eau et qui mettent à mal les écosystèmes locaux.