Conseil : Imaginer l'indépendance
La loi pourrait bientôt séparer les activités de conseil de la vente de produits phytos. Rien n’est encore ficelé, mais l’ordonnance est en cours de rédaction.
Pour acheter un produit phyto, l’agriculteur devrait bientôt présenter un justificatif de délivrance d’un «conseil annuel indépendant». C’est l’une des premières mesures concrètes inscrites dans le projet d’ordonnance «pour la mise en œuvre de la séparation entre la vente et le conseil», dévoilé par la DGAL (ministère de l’Agriculture) et le CGDD (ministère de la Transition écologique) le 28 septembre dernier. Il établit une première définition de ce «conseil annuel» qui est appelé à devenir un préalable obligatoire à l’utilisation de produits phytos par les agriculteurs. Une perspective qui inquiétait les syndicats, lesquels redoutent un coût supplémentaire. De leur côté, les chambres d’agriculture, fortes d’un réseau de «7 500 ingénieurs sur le conseil», se tiennent prêtes «dès le texte voté» pour proposer ce conseil, selon le président de l’APCA Claude Cochonneau. Même son de cloche du côté des indépendants du PCIA (Pôle du conseil indépendant en agriculture). Quelque 200 conseillers en font partie. «Notre code de déontologie impose d’être rémunéré uniquement pour des prestations intellectuelles», souligne le président Hervé Tertrais. «Cela exclut tous ceux qui sont liés à un groupe d’achat, une EDT (entreprise de travaux agricoles). Mais certains frappent à notre porte en prévision de la loi. Avec eux, le PCIA devrait à terme rassembler 700 à 1 000 conseillers.»
La date de mise en œuvre n’est pas encore arrêtée. «L’entrée en vigueur est annoncée au 1er janvier 2019, mais l’administration n’en a pas l’air elle-même convaincue», confie Christian Durlin à la FNSEA. «La marche est un peu haute aux yeux de nos ministères.»
Conseil annuel, les contours
Il faut dire qu’un changement en particulier risque de faire du bruit. Après l’adoption définitive le 2 octobre de la loi issue des États généraux de l’Alimentation (ÉGAlim), le Gouvernement est désormais habilité à mettre en place, par ordonnances, la séparation de la vente et du conseil en matière de phytos. Cela passe, a-t-il déjà annoncé, par une séparation capitalistique des structures, l’indépendance des personnes physiques exerçant ces activités, l’exercice d’un conseil stratégique et indépendant. Le conseil annuel s’appuierait sur «un diagnostic qui comporte une analyse des spécificités pédoclimatiques, sanitaires et environnementales», avec aussi «une analyse des conditions économiques, organisationnelles et matérielles de l’exploitation ainsi que des cultures et des précédents culturaux et de l’évolution des pratiques phytosanitaires». Ce conseil, obligatoire, «privilégierait les méthodes alternatives», à savoir «non chimiques» et «l’utilisation des produits de biocontrôle».
Le poste phytos sous tension
Cette première mesure inquiète les syndicats, en ce qu’elle augmente le risque (déjà important) d’alourdir les charges liées aux phytos, sans résoudre la question du conseil «au quotidien». «Le poste phytos risque d’augmenter fortement, avec la fin des remises, rabais, ristournes, la hausse de 50 M€ de la RPD (Redevance pour pollutions diffuses), le coût du conseil annuel», s’inquiète Christian Durlin, administrateur de la FNSEA en charge de la protection des cultures. «Il est hors de question d’accepter un conseil indépendant systématique au moment de l’application des produits phytosanitaires : ça représente une charge supplémentaire pour l’agriculteur», avance le syndicaliste. Il craint des factures à répétition lorsque, par exemple, une exploitation est sur plusieurs modes de production à la fois.
L’usage des phytos est aujourd’hui «raisonné» pour une meilleure maîtrise des coûts. Tout simplement. Comment un conseil annuel pourrait-il s’insérer dans un calendrier de commandes, avec des mortes saisons ?
«Déficit» en conseil quotidien
Côté distributeurs de phytos, si la FNA (Fédération du négoce agricole) y «voit assez clair» dans le contenu du projet d’ordonnance sur le conseil annuel, d’autres points lui semblent encore flous. Le projet prévoit d’un côté un conseil «indépendant de toute activité de vente ou d’application», et de l’autre, un vendeur qui fournit aux utilisateurs «les informations appropriées concernant l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, notamment la cible, la dose recommandée et les conditions de mise en œuvre, les risques pour la santé et l’environnement et les consignes de sécurité».
Mais quid de ses autres prérogatives ? Damien Mathon, délégué général de la FNA, met en garde contre «un gros déficit en conseil quotidien si la relation entre l’agriculteur et le vendeur se limite à la délivrance de produits avec la notice d’emploi». Sur le plan du droit, il lui semble «compliqué d’interdire à l’OS de donner des préconisations». Un organisme stockeur qui aujourd’hui réalise la collecte de grains, la vente de phytos et le conseil. Mis devant l’obligation de choisir entre ses activités en conseil et celles en produits phytosanitaires, Antoine Pissier, codirigeant de l’entreprise éponyme et président de la FNA, veut néanmoins garder les deux. «Le conseil restera notre cœur de métier avec la vente de solutions pour les cultures, déclare-t-il. Un bon vendeur fait du conseil.» La loi EGAlim «ne va pas interdire aux gens de se parler».
La proposition d’ordonnance est désormais sur la table. Elle a été discutée jusqu’à la fin octobre dernier : les prochains jours pourraient donc apporter de nouvelles orientations.