Des essais pour des apports plus efficients
La Chambre d’agriculture de Charente-Maritime participe à deux projets européens, Nutri2Cycle et Nutriman, visant à explorer de nouvelles pistes en matière de fertilisation.
Réduire la dégradation des sols, améliorer l’indépendance européenne énergétique et en nutriments : autant d’enjeux stratégiques pour l’agriculture de demain qui pourraient bien passer par une nouvelle utilisation des matières fertilisantes. Soutenus entre autre par la Commission européenne, plusieurs projets étudient actuellement ces questions et travaillent notamment sur la gestion des ‘‘déchets’’ des exploitations.
Jean-Philippe Bernard, chargé de mission Innovation à la Chambre d’agriculture de Charente-Maritime, connaît bien ces questions de recyclage des effluents, qu’il suit depuis 25 ans. En 2016, il est averti de l’émergence d’un nouveau projet européen « innovant » de règlement sur les matières fertilisantes. « Il existait déjà un règlement, le 2003/2003, qui statuait sur la distribution et la commercialisation en Europe de fertilisants minéraux ou synthétiques comme les ammonitrates, les phosphates... », indique-t-il, « mais le projet de 2016 était novateur parce qu’il voulait développer l’utilisation de fertilisants biosourcés ou écosourcés ». Le but de ces expérimentations ? Renforcer l’autonomie européenne pour les apports. En parallèle, l’EIP-Agri (pour European Innovation Partnership, Partenariat d’innovation européen), plateforme de la Commission européenne, lance un groupe d’experts sur le thème du recyclage des nutriments. Jean-Philippe Bernard l’intègre et rencontre des collègues de toute l’Europe, également impliqués sur ces questions. Un rapport émerge de leurs échanges et rencontres, avec deux projets finalement retenus, Nutriman et Nutri2Cycle. Financés par le fonds Horizon 2020 (UE), ils visent à « préparer le terrain de la mise en application du règlement européen, qui est finalement sorti en juillet 2019 », explique Jean-Philippe Bernard.
Utiliser les effluents directement sur l’exploitation
Les essais réalisés dans le cadre de Nutri2Cycle ont des visées plutôt universitaires, avec des recherches sur la transformation des effluents, les répercussions économiques et les conduites culturales. « Nutriman se veut beaucoup plus opérationnel : le but,c’est de mettre en place une plateforme internet qui offre aux agriculteurs, éventuellement à leurs conseillers, un ensemble de références de produits ou de technologies de transformation leur permettant d’accéder le plus rapidement possible à ces fertilisants biosourcés. » Ces deux projets ont un objectif commun : favoriser l’utilisation de ces matières.
Les essais Nutri2Cycle en Charente-Maritime ont débuté sur deux exploitations, dont l’EARL Manicot (élevage d’oies) de St-Martial-sur-Né. « On a commencé par faire des travaux de terrain, dans le but d’une démonstration en fin de projet », explique Jean-Philippe Bernard, « mais aussi pour récupérer des informations sur certains aspects techniques ». Sur l’exploitation, l’enjeu est notamment le recyclage direct des effluents, en lisier et fumier, pour une utilisation directe en substitution des fertilisants de synthèse, sans traitement particulier. Dans ce cas, l’expérimentaiton est favorisée par la présence sur l’exploitation de grandes cultures qui permettent de les utiliser directement. « La plupart du temps, on a besoin de systèmes de transformation quand on a des considérations de stockage ou de logistique à prévoir. »
La dynamique circulaire « premier niveau », qui fonctionne sur cette exploitation, est encore bien présente en France. « C’est une spécificité qu’on a conservé parce qu’on a encore une agriculture rurale avec une forme héritée du traditionnel polyculture-élevage, alors que d’autres pays ont poussé leur spécialisation jusqu’au bout. » Ces différences entre pays européens font partie des enjeux de Nutri2Cycle, qui s’inspire de ces échanges sur exploitation mais les envisage jusqu’à un niveau européen, « avec des circuits de transfert beaucoup plus importants ». Le projet vise aussi à évaluer d’autres catégories de produits, comme les struvites (matériaux phosphatés issus des urines, présents dans les eaux usées), les biochars (ou charbons actifs, qui peuvent être issus du bois ou des os - on parle alors de ‘‘bonechars’’ - traités par pyrolise) ou encore les cendres (d’origine végétale ou industrielle). Mais ces produits sont pour l’heure interdits en France. Les résultats de Nutri2Cycle pourraient, à terme, faire évoluer cette réglementation.