Des innovations qui boostent l’agriculture
La question de l’introduction de nouvelles techniques s’est emparée du monde agricole et de la société. Chercheurs et sociologues ont planché sur le sujet.
Depuis longtemps, innover rime avec compétitivité. De là découlent productivité, qualité des produits et nouveaux marchés. C’est l’économiste Schumpeter qui l’affirmait dès 1935. Des propos qui résonnent avec ceux tenus dans un livre tout juste paru par un aéropage d’économistes et de chercheurs de l’INRA. « L’innovation est à la fois créatrice et destructrice », écrivent-ils. Elle bouge avec les attentes de la société envers l’agriculture. On fait même le distinguo entre « bonne » et « mauvaise » innovation. C’est très ambivalent. Au siècle dernier, l’innovation était synonyme de croissance économique et de progrès. « Aujourd’hui », indiquent-ils, « elle s’affirme comme un processus lié à une pluralité des finalités, elles-mêmes en débat : sécurité alimentaire, maintien de la biodiversité, lutte contre les pollutions, changement climatique… »
L’innovation en agriculture, c’est à la fois descendant (venant des instituts ou de la recherche) ou montant (des agriculteurs eux-mêmes). C’est aussi à la fois, un produit et son process. C’est de la technique. Il a fallu pour cela une rupture de réflexion ou de nouvelles connaissances, même si cela devient parfois un « pilotage incertain », « un processus tourbillonnaire et imprévisible », comme le disait il y a déjà vingt Madeleine Akrick, directrice du centre de sociologie de l’innovation. Parfois cela s’accélère ou patine, ralentit ou redémarre. « Innover est », selon Aurélie Toillier, de la Cirad, « une activité risquée qui nécessite que les acteurs s’engagent dans un processus sans savoir s’il ira jusqu’à son terme et où ce terme se situera exactement. »
Au milieu du siècle dernier, l’innovation, c’était de l’appropriation et de l’adaptation, du transfert de technologies en somme. Aujourd’hui, on parle davantage de réseaux et d’environnement général. Directeur de recherches au CNRS, Gaël Giraud, économiste, lie innovations et rapport au monde, innovations et nourrir la planète. « L’agriculture est un secteur décisif dans l’avènement des grandes transitions : écologiques, sociale, démographique, numérique, politique et énergétique. » Il parle de « chemins technologiques » à privilégier pour « des trajectoires pour une agriculture durable ». Selon lui, les innovations ouvrent des perspectives dans une meilleure gestion du secteur agricole de la production à la distribution. Et l’envers de la médaille demeure l’usage de nouveaux process suscitant la controverse : il prend en exemple les néonicotinoïdes, panacée dans les années 90, bannis aujourd’hui. « L’évaluation des impacts d’une innovation ne peut pas se faire à l’aune du rendement supplémentaire éventuellement apporté par l’innovation et encore moins du possible supplément de revenu dégagé. » C’est pourtant le « moteur » de leurs introductions aujourd’hui.
Réorienter
L’un des auteurs, Jean-Marc Touzard, économiste à l’INRA de Montpellier, dresse un étrange tableau de l’innovation en agriculture, porteuse des mutations. « Malgré la globalisation, ces innovations conservent des traits spécifiques liées aux rapports qu’entretiennent les activités agricoles ou alimentaires avec la nature, l’espace et leurs sociétés. » C’est historique et orienté par tous les acteurs du monde agricole. Il y trouve une « convergence » d’enjeux globaux (mais nouveaux et entrant dans la sphère politique), via les « transitions ». Mais on n’innovera que si on confronte les modèles de production, d’échange et de consommation alimentaire. L’innovation apparaît dans la niche et pour être réelle doit « s’institutionnaliser » dans tout le secteur pour devenir « une norme ». Elle apparaît suite aussi à des dysfonctionnements, des pertes de biodiversité, de ressources.Ainsi, aujourd’hui, numérique et biotechnologies sont appelés à un essor. Robots, capteurs, guidage, informatique embarquée, applications sur smarphones deviennent « communs ». « Ces innovations sont promues par les firmes et les organisations de recherche, mais de nouveaux acteurs émergent, firmes numériques, starts-up, créant des réseaux d’innovations, bénéficiant de l’élargissement et de la baisse du coût de l’offre. » Idem pour la génétique, la biologie ou la création variétale. « La globalisation n’a pas dissous les spécificités des innovations agricoles et tendrait même à les renouveler, si l’on considère la convergence des transitions dans lesquelles le secteur est engagé. » Jean Marc Touzard pose un regard anthropologique sur ces innovations : il parle de « co-évolution » entre tous les enjeux : « influencée par de nombreux processus, parfois contradictoires, la spécificité de ces innovations n’est pour autant ni donnée, ni immuable. » Ce qui pousse les innovations agricoles, c’est la manière dont on regarde l’agriculture, avec quelle lorgnette. Jean-Marc Touzard va jusqu’à dire que on considérait l’agriculture comme un bien public, l’innovation irait de soi et plus vite, que les transitions seraient ainsi facilitées.