« Les éleveurs ne maîtrisent plus rien »
Chute des cours de la viande bovine, méfiance des consommateurs, problèmes sanitaires… Dans un climat économique de libéralisation grandissante, les éleveurs allaitants sont confrontés à d’importantes difficultés. Alexandre Avril de Fraguier, président du syndicat des éleveurs de bovins limousins et de Croissance 16, nous fait part de la situation en Charente.
Quelle est la situation des éleveurs allaitant en Charente ?
On a d’une part une perte sur les broutards, de l’ordre de 150 à 200 € par broutard, et d’autre part une perte sur les vaches de 70 à 80 centimes par kilo. La fièvre catarrhale ovine nous paralyse et l’on est obligé de faire des vaccinations ce qui représente un coût pour les éleveurs. De plus, il y a une défiance des consommateurs donc c’est globalement compliqué. Les associations de consommateurs nous lancent régulièrement des attaques alors que les éleveurs ne demandent rien. Et la sécheresse a provoqué d’importantes pertes qui vont se ressentir cet hiver. Les mois à venir ne seront pas bons et les éleveurs vont devoir déstructurer leur troupeau.
D’après vous, comment aider les éleveurs les plus en difficulté ?
Je ne vois pas de solution car malgré toute la bonne volonté de la DDT, il n’y a pas les moyens nécessaires pour réaliser nos souhaits. On peut espérer que les cours aillent mieux mais avec les charges qui augmentent d’année en année, le panier du consommateur se réduit. Les seuls qui pourraient jouer le jeu, ce sont les grandes surfaces et les grandes marques. Et il est important de ne pas monter les consommateurs contre nous. Nous ne sommes pas des bouchers. Aujourd’hui les éleveurs ne maîtrisent plus rien et notre image souffre de toutes les polémiques autour des abattoirs. Il y a une rupture entre le monde paysan et le monde de la ville, et il me paraît important de rétablir ce lien.
Que pensez-vous du plan d’aide mis en place par le gouvernement ?
Il serait intéressant que le ministre vienne à la campagne et se promène pour voir ce qui se passe sur le terrain. Ce dont les gens ont besoin, et encore plus en agriculture, ce sont de perspectives. Pour vendre un veau, il faut environ 24 mois. Or aujourd’hui nous ne sommes toujours pas payés de nos aides d’il y a deux ans donc on ne sait même pas ce que l’on peut produire.Pourquoi n’y a-t-il plus d’installation ? Certes les conditions de travail se sont améliorées mais les conditions économiques ne font que se dégrader.
Comment expliquez-vous que les cours de la viande bovine soient aussi bas ?
Cela s’explique par toutes les crises que nous avons traversées. FCO, fièvre aphteuse, farine animale… le consommateur pense que manger de la viande, ce n’est pas sain. Les médias ont un pouvoir important et nous agriculteurs sommes mauvais en communication. On n’a jamais su mettre en valeur la qualité de nos produits. Pourtant dès qu’on le fait nous avons des retours positifs.
Moralement cela doit être difficile pour les éleveurs…
Au niveau national, il y a un suicide tous les trois jours chez les agriculteurs mais personne n’en parle. Les agriculteurs sont des gens pudiques et honnêtes mais pour eux cette année 2016 est une année à oublier.
Que pensez-vous de la signature du Ceta ?
C’est l’exemple même que nos politiques ne prennent pas en compte les faits. Qui va profiter de ces accords ? Les multinationales. Qui va écoper ? L’agriculture. Quel est l’intérêt de faire venir du lait ou de la viande des Etats-Unis ou du Canada ? Est-ce qu’on peut accepter de voir dans les supermarchés de la viande soit disant « fraîche » alors qu’il va s’écouler deux mois entre l’abattage et la livraison ? Il vaut mieux manger peu mais bon et en France comme ailleurs en Europe, nous savons faire du bon. Donc restons européens.