Île d’Oléron
L’oignon de Saint Turjan renaît de ses graines
Traditionnellement cultivé dans les terres sablonneuses de Saint-Trojan, au sud de l’île d’Oléron, l’oignon de Saint Turjan a disparu des jardins il y a un siècle. Il a été ressuscité par un collectif de maraîchers et amateurs de produits locaux chevronnés.
Traditionnellement cultivé dans les terres sablonneuses de Saint-Trojan, au sud de l’île d’Oléron, l’oignon de Saint Turjan a disparu des jardins il y a un siècle. Il a été ressuscité par un collectif de maraîchers et amateurs de produits locaux chevronnés.
Sous un soleil matinal, les bénévoles s’activent pour trier les oignons. De nombreuses peaux jonchent le sol, reflets des couleurs automnales de cette journée de fin septembre. « La chaleur de cet été a fait des dégâts », constate Bernard Frelin, président de l’association de l’oignon de Saint Turjan. Les légumes «pourris» sont mis de côté, tandis que les pieds-mères sont soigneusement conservés pour être plantés à nouveau et monter en graine l’an prochain.
Depuis 2009, l’association s’emploie à faire renaître l’oignon oublié. «Ça a commencé quand Gérard Benoit, le premier président de l’association, a lu un article dans le journal sur cet oignon. Il a eu envie de le refaire.» La première tâche, et non des moindres, a consisté à trouver des graines, heureusement conservées par des jardiniers trojanais. «La première fois qu’il en a semées, il a eu des oignons de toutes les couleurs ! », se rappelle Bernard Frelin. Les étapes de tri ont servi à sélectionner les oignons les plus proches du modèle historique. L’association s’est constituée pour sauvegarder cette variété, partie intégrante du patrimoine oléronais.
Un «égnon» vendu jusque «su la grande terre»
L’histoire de l’oignon de Saint Turjan est intimement liée à celle de l’île d’Oléron, peu à peu ouverte sur le
continent. «La commune de Saint-Trojan était encore plus isolée que le reste de l’île. Il n’y avait pas de route pour y aller ! Même encore aujourd’hui, les oléronais du nord ne vont pas souvent dans cette partie sud de l’île», replace dans le contexte Bernard Frelin.
Les habitants y vivaient en autarcie et cultivaient le rosé des sables, un «égnon» qui se vendait sur l’île et même «su la grande terre». Quand les infrastructures et les moyens de communication se sont développés, la culture d’oignons a été peu à peu abandonnée. Benoît Simon, maraîcher à Saint-Pierre d’Oléron et vice-président de l’association, a de vagues souvenirs de jeunesse : « Au marché de Saint Trojan, j’entendais des jardiniers parler de cet oignon. Ils avaient encore des semences.» L’idée de le cultiver à nouveau l’a intéressé, pour sa valeur patrimoniale aussi bien que gustative.
Aujourd’hui, huit maraîchers produisent de l’oignon de Saint Turjan, en différents points de l’île, à raison de 10 à 12 tonnes par an. «On dessert quelques restaurateurs et transformateurs », le reste étant commercialisé en vente directe.
Amoureux des produits du terroir
L’association compte une centaine de bénévoles, habitants de l’île à l’année, touristes ou résidants de maisons secondaires. «Nous attirons de nouveaux bénévoles lors des manifestations. On leur offre un paquet de graines à ce moment. » Les plus motivés se retrouvent lors des chantiers pour planter, bêcher, récolter... «On aime les oignons», expliquent simplement les bénévoles présents lors de la matinée de tri. Un nouveau site internet saint-turjan.fr va voir le jour d’ici la fin de l’année, ainsi qu’une page Facebook.
En plus, « il n’emporte pas la goule ! »
« Comment préférez-vous l’oignon de Saint Turjan ? » À cette question, Bernard Frelin hésite. « Avec une salade de tomates, des moules marinières ou autour d’une viande », liste-t-il. En plus de son intérêt patrimonial, le rosé des sables se distingue par son goût, légèrement sucré et très parfumé. Comme disaient les anciens, « il n’emporte pas la goule ! ». « Lors des journées du patrimoine, nous avons proposé une dégustation de beignets d’oignons à la maison paysanne de Saint Trojan. Ils ont eu un succès phénoménal ! », rapporte Bernard Frelin.
Benoit Simon vend sans soucis 20 kg d’oignons en une matinée : « Quand les clients demandent de l’oignon, je leur propose en premier l’oignon de Saint Turjan en les assurant qu’ils vont revenir le lendemain m’en demander d’autres. Et ils le font ! » Il affiche un prix au kilo de 5€, mettant en avant le travail artisanal de cette production : «On n’est pas à une échelle industrielle. Tout est fait à la main. »
En chemin vers l’IGP
L’oignon oléronais ne pousse pas par bulbe, mais par semis. Tous les deux ans, les fleurs sont cueillies puis pendues têtes en bas au-dessus d’une bâche pour récolter les graines. L’association sélectionne les pieds-mères, d’après leur forme et leur couleur : « On cherche la forme d’une toupie et une peau rosée », décrit son président Bernard Frelin. Aujourd’hui, 30% des oignons sont jugés conformes. Pour obtenir une indication géographique protégée (IGP), ce taux doit monter à 90%. «Nous avons fait appel à un cabinet d’études pour dresser un inventaire et élaborer un plan sur les quatre à six prochaines années afin d’arriver à la conformité».
Le dossier pour prétendre à une IGP est quelque peu conséquent. «Nous devons faire une carte d’identité de l’oignon de Saint Turjan », déclare Benoît Simon, maraîcher et responsable technique au sein de l’association. L’inscription au catalogue officiel des graines constituera une des étapes. Le maraîcher mène aussi différents essais avec des oignons de semences variées. «Nous cherchons à comparer celles qui se disent de Saint Turjan avec celles de l’oignon rose pâle de Niort, du rosé de Menton... En observant les différences et les similitudes, on pourra mieux identifier ses caractéristiques.» L’AANA a fait observer que le volume cultivé devra augmenter pour obtenir une IGP.
Prouver l’origine locale
L’association s’est rapprochée du Cregen pour faire la lumière sur le passé de l’oignon. «Nous partageons une chargée de mission avec le Cregen. Elle commence à récupérer des éléments intéressants qui prouvent que l’oignon est originaire de l’île», note Bernard Frelin. Une trentaine d’écrits datés du XIXème siècle ont été répertoriés. «Elle cherche maintenant des éléments de description clairs et précis. Nous avons des écrits sur l’existence de l’oignon, mais pas sur sa couleur, sa forme, ses caractéristiques propres», relève Benoît Simon.