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Notre-Dame de Paris priait pour les tonneliers !

L’incendie de la charpente de la cathédrale la plus célèbre de France amène à s’interroger sur la filière française d’approvisionnement en bois. Y aura-t-il concurrence avec la tonnellerie ?

Les bois recherchés ne sont pas les mêmes en charpente qu’en merranderie, mais le problème de la disponibilité de la ressource reste un des soucis majeurs des tonneliers.
Les bois recherchés ne sont pas les mêmes en charpente qu’en merranderie, mais le problème de la disponibilité de la ressource reste un des soucis majeurs des tonneliers.
© AC

Les millions s’annoncent comme les floraisons du printemps. Qu’un chef d’œuvre national voie partir en fumées ses charpentes vieilles de plusieurs siècles et la France redécouvre qu’elle a des moyens financiers insoupçonnés, des forêts et des forestiers, des artisans et des savoir-faire. Pourra-t-on reconstruire, à l’identique ou pas, en un quinquennat ? Sitôt la mobilisation, née de l’émotion, s’est voulue concrète. Exemple parmi tant d’autres, la filière chêne française, qui après une réunion de travail avec la filière bois-construction répond présente : « Les scieurs français de chêne et les exploitants forestiers apporteront leur soutien pour réserver les 1300 chênes qualité charpente, c’est-à-dire des chênes âgés de 200 ans avec une circonférence de 2 à 2,5 m environ, nécessaires à la reconstruction de Notre Dame. »  3 000 m3 seraient donc nécessaires. « Collectivement, nous pouvons facilement y arriver ! » De son côté, la fondation Fransylva, associée à la fondation du Patrimoine, souhaite mobiliser les 3,5 millions de propriétaires forestiers, avec l’objectif un chêne offert = un chêne replanté. Par ailleurs, les coopératives forestières et leurs 110 000 propriétaires se disaient, elles aussi, prêtes à fournir des chênes. Ces coopératives gèrent ainsi 2 Mha de forêts et récoltent 7 Mm3 de bois par an… Les spécialistes du bois charpente évoquent, pour les besoins du chantier, 1 500 chênes de 30 à 40 ans d’âge et quelques centenaires. Non séchés.

Pas la même qualité

Trouver ainsi des chênes, utiles à la construction, ne va-t-il pas perturber la fourniture des chênes pour les tonnelleries ? La question n’inquiète nullement Alban Petiteaux, président de Futurobois et co-fondateur d’Œnowood en Charente : « la qualité des bois nécessaires pour la charpente n’est pas la même que celle recherchée pour la tonnellerie et la merranderie. Le volume de bois pour Notre-Dame par rapport à la récolte du bois français est infime, moins de 0,1 %, et risque peu d’impacter la filière tonnelleries. » La qualité charpente tolère les nœuds, que la tonnellerie ne veut pas. Il ajoute que le temps de mise en œuvre de ces bois de charpente permet à la filière française de s’organiser. « La tonnellerie française se sert au deux-tiers dans la forêt française, principalement domaniale. Elle exige des bois propres, absents de toutes particularités, sans singularités, sans nœud pour ne pas porter atteinte à l’étanchéité des douelles de la barrique, parfaitement rectilignes sur des tronçons de 1 m. » Les charpentes recherchent de longs bois. Quant à une incidence de cette demande de bois de Notre-Dame sur les prix, pour Alban Petiteaux, sous condition de reconstruire à l’identique, « il y a suffisamment de mécènes ou de bois offerts par les propriétaires forestiers ou des municipalités. Le bois ne coûterait rien. »

Moins de gros bois

Reste que la tension sur la qualité tonnellerie existe : « les bois de tonnellerie peuvent continuer à augmenter, mais pour des faits internes à la filière bois et à la filière tonnellerie. » Alban Petiteaux s’explique : « le réservoir pour la tonnellerie est plutôt en réduction. Il y a plus de compétition chaque année : plus d’acheteurs et moins de bois. La configuration idéale des bois utilisée il y a 30 ans n’existe plus aujourd’hui. » Si la production de barriques et de tonneaux est assez stable, « un marché mûr », concurrencé dans le domaine des vins, la demande mondiale partage entre bois français et autres. « Sur le marché du bois français, on a beaucoup récolté d’arbres mûrs dans les années 70-80-90. Ce réservoir de vieux arbres est moins important qu’il n’a pu être. Pour l’ONF, ces gros bois devaient être récoltés. Les bois plus petits d’aujourd’hui trouvent moins preneurs. Les tonnelleries focalisent sur les gros bois, créant une tension et les rendant plus chers. » Tributaire de la gestion de l’ONF, des programmes forestiers, la filière « ne peut pas aller plus vite que la nature ». Le chêne a connu des ‘‘modes’’, et ainsi, dans le creux de la vague, a constitué des réserves de gros bois disponibles où les tonneliers trouvaient leur bonheur. « Aujourd’hui, il y a un regain d’intérêt pour le chêne. Tout le monde cherche la crème de la crème… » Quant à changer la pratique, les tonneliers y sont poussés. « Par la force des choses, ils sont amenés à travailler des diamètres de troncs plus petits. Diamètre plus petit, dit rendements plus bas… la précocité de la matière fait augmenter le prix. Les bois plus petits aux rendements moins bons font aussi par ricochet augmenter les prix. Au final, la matière continue d’augmenter. Mais il faut faire avec. » Alban Petiteaux conclut : « la tonnellerie est une cible idéale. Leur problème est de transmettre cette hausse à leur client. » + 10 % du prix de chêne par an, + 3-4 % pour les barriques. Même en rognant sur les marges, la quadrature du tonneau est bien réelle. L’exportation ne suppose pas une hausse répercutée tant la concurrence est grande. « Les mêmes bois vont dans le monde entier. Les chênes américains ont de l’intérêt pour ceux qui recherchent des goûts différents, qui ne correspondent pas à 70 % de la demande de l’œnologie mondiale, mais pour les whiskies américains ou les vins espagnols. »
Le constat est proche chez Xavier Baron, co-dirigeant de la tonnellerie Baron installée aux Gonds près de Saintes. Les profils de bois ne sont pas la même entre construction et merrandiers. « Sur les centaines de mètres cubes réalisés, l’impact n’est pas sûr. » Il donne un ordre de grandeur : la tonnellerie Baron utilise 2000 m3 de grumes par an et a un objectif de 4000 m3 par an. « Nous prenons des bois qui se fendent facilement, sans nœud. » Les flux, aujourd’hui tendus, pour cause de manque de qualité, font « mécaniquement » monter les prix. Les volumes sont loin d’être proposés à l’achat. « La peur de manquer fait surstocker les bois. L’ONF, en qualité tonnelière, propose la moitié de volumes qu’avant. » Xavier Baron lie certaines qualités tonnelières avec des charpentes haute qualité. « La fuite des bois sur l’Asie, pour des constructions ou des parquets, est plus problématique que Notre-Dame. Et là, cela part 20 ou 30 % plus chers vers l’Asie. » Notre-Dame fut construite avec des arbres de très grande hauteur de la forêt primaire du bassin francilien. Ils n’existent plus. Pas plus qu’en Europe de l’Est. Et le choix de reconstruire en 5 ans conduira peut-être à préférer des charpentes en… fer.

 

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