S’affranchir du soja importé, rêve ou réalité ?
Le contexte international de pandémie rend davantage saillante la question de l’autonomie protéique. La France peut-elle répondre seule aux besoins nutritifs de ses animaux d’élevage ? Eléments de réponse avec un cas emblématique : le soja.
Le contexte international de pandémie rend davantage saillante la question de l’autonomie protéique. La France peut-elle répondre seule aux besoins nutritifs de ses animaux d’élevage ? Eléments de réponse avec un cas emblématique : le soja.
Malgré des prédispositions certaines pour la prairie et la culture de légumineuses, malgré la succession de plans protéines depuis plusieurs décennies, la France n’est pas autosuffisante en tourteaux pour les animaux d’élevage. En matière de soja notamment, sa dépendance aux trois exportateurs principaux (USA, Brésil, Argentine) la place en position de fragilité dans les périodes de tensions commerciales où la volatilité des prix s’intensifie, comme ce fut le cas avec le Brésil à l’été 2019 ou, actuellement, avec les incertitudes liées au Covid-19. « Les événements démontrent qu’il faut une réponse sur notre territoire », soutient Laurent Stéfanini, responsable ruminants chez le fabricant de nutrition animale Alicoop à Pamproux.
Ces réponses peuvent prendre la forme d’alternatives comme celles explorées par l’Institut de l’élevage dans le cadre du projet Protecow. Lancé en 2017 avec 18 éleveurs laitiers des Hauts-de-France et de Belgique, il a fait émerger cinq pistes de remplacement du soja : les tourteaux de colza, l’implantation de ray-grass italien (RGI) entre deux maïs, l’amélioration de la qualité de l’herbe ensilée, l’autoconsommation de féveroles toastées et la conversion à l’agriculture biologique en conservant un haut niveau de production laitière (les cahiers des charges en AB limitant le recours aux concentrés). « Toutes ces solutions, surtout les deux premières, sont intéressantes à mettre en oeuvre dans les élevages bovins, certifie Benoît Rouillé, en charge du projet à l’Idele. Et ce, même dans les filières viande où les exigences en protéines sont moins élevées qu’en production laitière ».
Le soja, aliment miracle
Utilisé à hauteur de 2 % seulement en moyenne dans une ration bovine, selon Benoît Rouillé, le soja est tout de même importé en masse pour répondre aux besoins français, irrigant principalement les filières porcs et volailles. Antoine Bretonneau, directeur des établissements Arrivé-Bellanné de Nueil-les-Aubiers, estime les besoins de production de son entreprise à 1 500 t/mois de soja : « en volailles, la formule de démarrage doit être très concentrée en protéines. Et le soja contient 44 % de protéines dans le grain ». Un taux hautement performant.
Pour Médéric Brunet, directeur de la coopérative Sèvre et Belle, « le soja est une plante extraordinaire, qui apporte plein de réponses aux attentes économiques », mais qui nécessite néanmoins d’être vigilant sur les teneurs en OGM, les sojas importés d’Outre-Atlantique étant essentiellement transgéniques. Les consommateurs et les chartes AOP sont de plus en plus scrupuleux sur la provenance locale et la qualité naturelle de tous les maillons de la chaîne de production menant aux assiettes humaines, aussi les fabricants d’alimentation animale veillent-ils au grain, réduisant d’année en année les pourcentages d’OGM dans leurs volumes.
Autre stratégie : ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier en développant d’autres cultures. « Colza, soja, luzerne, pois, nous ne misons pas tout sur un seul produit, expose Laurent Stéfanini. Nous avons ce qu’il faut en France pour produire des protéines végétales de qualité et en quantité. Nous oeuvrons en coopérative pour ramener l’intérêt vers ces productions ».
Des freins à la filière française
Une filière locale du soja a émergé il y a cinq ans, soutenue par une aide de 150 €/ha de l’ex-région Poitou-Charentes. Néanmoins, de nombreuses problématiques sont venues ralentir son essor : la disparition des subventions dédiées, le tâtonnement dans les variétés de semences, le contexte pédoclimatique et le manque d’irrigation. « Pour rester compétitifs, il faudrait pouvoir atteindre 3,5 t/ha par an, or, les conditions de l’année dernière n’ont permis de sortir qu’une tonne et demie », déplore Médéric Brunet, à qui cette filière « tenait à coeur. Elle permettrait de créer de la valeur pour les adhérents, les producteurs et les consommateurs ». Aujourd’hui les volumes cultivés en local tournent autour de 3 000 ha. Mais sans sécurisation de l’eau ni soutien financier des pouvoirs publics pour garantir les prix, il faudra encore plusieurs années pour que la filière soit pleinement relancée, estime Laurent Stéfanini. Reste alors à composer au mieux pour se créer une autonomie à l’échelle des exploitations : dans ses choix d’achats, de systèmes de cultures et en fonction de ses réalités économiques.
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