"On a de plus en plus de personnes qui ne se sortent plus de salaire. Et on entend même certains dire qu’ils vont mettre la clé sous la porte avant Noël» s’inquiète Christine Charrier, directrice adjointe de la Banque de France de Poitiers. La semaine dernière, elle a participé à une réunion sur la hausse de l’électricité en présence des 4 députés de la Vienne, du tribunal de commerce, de l’Urssaf, de la DGFIP, à l’invitation de la chambre des métiers de la Vienne. Enedis et Sorégies, les deux fournisseurs de la Vienne, étaient également présents. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les propos tenus par les artisans présents étaient vraiment inquiétants. «Nous avons l’exemple d’un jeune qui voulait reprendre une boulangerie, mais sa facture d’électricité serait passée de 20 000 à 60 000€, il a donc renoncé» explique Karine Desroses, la présidente de la CMA de la Vienne. Si tous les artisans subissent les hausses actuelles, c’est selon elle les boulangers qui sont les plus mis en difficulté (lire le témoignage ci-dessous). «Le coût des matières premières explose aussi, et tout se cumule. Le chocolat a aussi augmenté de 30%». Dans sa chocolaterie pâtisserie de Montmorillon, la facture annuelle de chocolat va ainsi passer de 2000 à 5000€. Et difficile selon elle de répercuter sur les prix de vente. «La baguette de pain, on ne peut pas la mettre à 2€. Dès qu’on augmente, les gens se tournent vers les grandes surfaces». Les députés, et notamment Sacha Houlié, ont rappelé les dispositifs mis en place par le gouvernement: bouclier tarifaire pour les TPE, guichet d’aide au paiement des factures d’électricité et de gaz dispositif d’amortissement. Des annonces saluées par les professionnels, mais qui selon eux ne suffiront pas. «12 milliards, ce n’est pas rien, c’est vrai. Mais malheureusement, ça ne va pas changer grand-chose…». Du côté des fournisseurs d’électricité, ces difficultés sont connues. «Le problème est particulier pour les boulangers, à cause de la barrière de 36 kVA qui les exclut du bouclier tarifaire. Il faudrait peut-être faire sauter cette contrainte» estime Philippe Chadeyron, représentant territorial EDF à la délégation Régionale Nouvelle-Aquitaine. «Il ne faut pas hésiter à solliciter les fournisseurs très tôt» propose Frédéric Bouvier, directeur général de Sorégies. «Il faut absolument regarder la date de la fin de son contrat» ajoute Nicolas Turquois. Le député de la 4e circonscription, lui-même agriculteur, élargit le sujet. «Le problème avec cette inflation, c’est qu’il est difficile de fixer des prix. L’engrais que j’achète a été multiplié par trois, et peut-être que les prix des céréales vont s’effondrer ...»
Boulangers désemparés
Actuellement, le coup de chaud, ce n’est pas que dans le four de la boulangerie La Galmoisine. C’est aussi l’effet de l’explosion de ses charges due à la flambée des prix de l’énergie. Stéphane et Marina Fournier ont emménagé il y a peu dans leur nouvelle boutique sur la zone artisanale de Saint-Maurice La Clouère. En arrivant, pour le contrat d’électricité, le couple a opté pour un contrat Tarif Jaune. « On voulait une puissance suffisante, entre 42 et 240 kVA selon les compteurs, qui corresponde à notre consommation électrique. » Pour ce contrat, le prix est de 0,35 ct€/kWh. Une facture plus salée que celle liée au tarif réglementé de l’électricité (Tarif Bleu). « Pour la même consommation qu’avant, on est passés à 6 000 €/mois, au lieu de 1 500 € », déplore Marina Fournier. Un scénario peu soutenable sur du long terme, assure Stéphane Fournier. Des travaux ont donc été refaits ces derniers jours, pour réinstaller deux compteurs Bleus, comme c’était le cas à l’arrivée du couple. « On a rééquilibré les raccordements des équipements sur chacun », confie le gérant qui subit directement sur son entreprise les effets conjoints de l’arrêt d’une grande partie des centrales de l’Hexagone et les conséquences du conflit russo-ukrainien sur le prix de l’énergie en général. «Pour les collègues qui ont des fours plus gourmands en électricité que le nôtre, il est difficile de revenir sur des Tarifs Bleu (puissance inférieure à 36 kVA)», observe Marina. « Après les matières premières, dont le coût a aussi augmenté, l’électricité est le poste de charges le plus important. Avec la Sorégies, on a échelonné toutes les factures jusqu’en octobre 2023 : on paie une facture sur 3 à 4 mois. On a aussi fait une demande pour bénéficier d’un dispositif d’aide de l’État. Il nous permettrait d’obtenir 950 € pour les mois de juin, juillet, et août. » Mais Marina Fournier signale que c’est son expert-comptable qui doit prendre en charge le montage de ce dossier. « Il fait comme un mini bilan, donc ce sont des frais supplémentaires pour nous. Les travaux pour les compteurs ont aussi été des coûts en plus. » La situation est tendue et conduit le gérant à ne pas se dégager un revenu depuis cet été. Mais ça ne pourra pas durer longtemps.
Crainte pour la production de lait
Les éleveurs laitiers aussi sont inquiets de l’évolution du prix de l’énergie. Ce n’est rien de dire que dans leurs exploitations, l’électricité est nécessaire à chaque atelier, de la salle de traite, à la distribution automatique de l’alimentation en passant par la mise en route du racleur. C’est le cas au Gaec des 5 Chemins à La Chapelle-Bâton, où depuis le 1er octobre, le coût de l’électricité est passé de 0,06 €/kW à 0,58 €/kW. « Ce qui revient à payer 4 000 €/mois, alors qu’on était à 400 € avant ». Mathieu Caillé et Cédric Chavigneau, les deux associés de cet élevage préviennent que ça ne pourra pas tenir longtemps. Leur fournisseur leur conseille d’adapter leur activité aux heures creuses. « Mais on ne peut pas faire la traite sur ces créneaux horaires ! On doit suivre le rythme de l’animal, et notre rythme à nous ». Les éleveurs doivent aussi baisser de 10 % leur consommation d’électricité par rapport à celle de l’année précédente, sous peine de quoi, la facture augmentera encore. Les marges de manœuvre pour y parvenir sont réduites pour les éleveurs. « La solution serait de faire fonctionner notre génératrice qui se fixe à la prise de force du tracteur. On va consommer du fuel. Ça ne nous semble pas non plus très adapté au respect de l’environnement. On va refaire un contrat d’électricité au mois de décembre. Il se pourrait que le prix soit à la baisse. Mais il faut se dire qu’on ne reviendra pas au prix d’avant. Même si on descendait à 0,25 €, il faudra qu’on trouve une solution pérenne pour contrebalancer cette augmentation du prix de l’électricité. »
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