Un rapport à contre-courant
Les herbicides, fongicides et insecticides ont-ils encore un avenir ? Oui, si l’on en croit un rapport publié début mars par le Service de recherche du Parlement européen.
C’est un texte qui est passé sous silence, mais pourrait faire beaucoup de bruit. L’EPRS (European Parliamentary Research Service, ou Service de recherche du Parlement européen) s’est intéressé aux « produits de protection des plantes » (PPPs), « souvent perçus par les citoyens comme très nocifs pour la nature et l’environnement » et dans le viseur des politiques, qui pour beaucoup poussent à la réduction de leur emploi dans l’agriculture. Publiées début mars, les conclusions du rapport, prenant en compte les conditions actuelles de production alimentaire, les objectifs quantitatifs, en termes de biodiversité et de revenu des agriculteurs, pourraient rebattre quelques cartes. Le texte avait d’ailleurs été salué lors de l’assemblée générale de la FDCETA par l’ancien directeur général de l’UIPP Jean-Charles Bocquet (voir notre édition du 15 mars dernier), qui l’a porté à notre connaissance.
L’agence européenne attaque d’emblée le vif du sujet. « Peut-on maintenir de hauts rendements en utilisant moins de PPPs ? » La question a le mérite d’être posée, car, comme le rappelle le rapport, « la sécurité alimentaire et une alimentation saine pour 11 milliards de personnes d’ici à 2100 constituent l’un des plus grands défis de ce siècle ». Bien sûr, les rendements qui permettront cette alimentation de masse ne dépendront pas uniquement des PPPs, mais également de la rotation des cultures, des variétés résistantes (« peu ou pas disponibles pour de nombreuses plantes »), ou encore de la gestion des sols. Mais la part des PPPs dans les résultats est aujourd’hui importante, et devrait se demeurer primordiale dans les prochaines années. « Sans les PPPs, les rendements vont être réduits, selon les cultures, entre 19 % (blé) et 42 % (pommes de terre) », explique le rapport qui assène que « sans les PPPs, y compris les biopesticides, la sécurité alimentaire de 11 milliards de personnes dans le futur est menacée. » « Une réduction semble possible dans le cas d’une utilisation (très) élevée des PPPs actuellement », peut-on lire quelques lignes plus loin, « mais pas dans le cas d’un usage réduit ».
L’impact de l’agriculture biologique critiqué
Les chercheurs de l’EPRS s’attaquent également au dogme de la valeur écologique de l’agriculture biologique, qui selon eux ne serait pas si favorable à l’environnement qu’elle le prétend. « Au niveau des exploitations, toutes les méta-études scientifiques indiquent que l’augmentation de la biodiversité est plutôt marginale, mais qu’au niveau mondial, la biodiversité diminuera considérablement, l’agriculture biologique étant environ 25% moins productive que l’agriculture conventionnelle. Cela implique que pour nourrir 11 milliards de personnes, il faut plus de terres aux dépens de la biodiversité. »Le rapport reconnaît toutefois qu’au niveau de l’impact des PPPs sur la population et l’environnement « des améliorations considérables sont toujours possibles », même s’il y a déjà eu « beaucoup de progrès ». Davantage que la réduction des produits utilisés, qui, comme le répètent les chercheurs, « n’est réaliste que lorsque le risque de baisse de rendement ou de qualité alimentaire est acceptable pour l’agriculteur », ce sont des innovations qui pourraient amener cette amélioration de l’agriculture conventionnelle. « L’agriculture de précision, y compris la télédétection avec des véhicules aériens sans pilote, peut également contribuer à une application plus ciblée et à une réduction de l’utilisation des PPP, note le rapport. Une contribution importante proviendra également de la sélection de variétés plus résistantes, à la fois par sélection classique et par de nouvelles techniques de sélection (NBT, « New Breeding Techniques »), telles que la sélection par mutation de précision. » Des solutions controversées, mais que l’EPRS estime inévitables, en particulier pour les NBT qui pourraient s’imposer là où les OGM ont échoué.
Les conclusions du rapport, au nombre de quinze, achèvent de dresser un portrait favorable de l’utilisation des PPPs, qui permettent par exemple de baisser les prix des produits sains : sans cela, « les classes de revenus inférieurs se tourneraient vers des nourritures moins chères et malsaines ». Alors, pourquoi tant de haine ? Pourquoi en arrive-t-on à une situation où « la perception du risque des PPPs par le grand public est diamétralement opposée à sa classification par les scientifiques », alors même que « les PPPs font partie des composants les mieux étudiés de nos vies » ? Les chercheurs le reconnaissent : « les scientifiques sont considérés moins neutres qu’on pourrait l’attendre. Des intervenants sont catégorisés comme idéologisés et d’autres suspectés de travailler pour des ONGs ou l’industrie chimique. Les leaders d’opinion neutres sont toutefois nécessaires, car le pire qui puisse arriver serait que les gens croient que les évaluations des risques sont arbitraires et que leurs résultats dépendent de ceux qui les paient. » Comme les agriculteurs, les scientifiques et industriels ont un train de retard dans la bataille pour l’image.