Circuits courts : «C’est la qualité qu’on recherche, pas le prix bas»
Proposer des produits locaux dans l’assiette : un concept qui séduit mais qui impose de trouver de nouvelles méthodes. La cuisine centrale de Rochefort utilise déjà ce système au quotidien.
Il ne suffit pas d’en parler de manière incantatoire : pour passer à la pratique dans le domaine des circuits cours, les collectivités locales vont devoir revoir totalement leurs habitudes. Une quasi-révolution dans un domaine où l’on est habitué aux raccourcis commerciaux avec les fournisseurs. Mais certaines ont déjà franchi le pas.
C’est le cas de la Cuisine Rochefort Océan (CRO), qui distribue et concocte 2 000 repas par jour, essentiellement pour les groupes scolaires (67 %) de Rochefort, Lussant, Moragne, Saint-Nazaire-sur-Charente, Saint-Laurent-de-la-Prée et Breuil-Magné. En tout, onze collectivités sont adhérentes au SIVU, créé en 2014 après le départ de l’hôpital rochefortais, et dont la cuisine Rochefort Océan est le pilote administratif (estimation annuelle des besoins, bordereau de prix unique en ligne à destination des produteurs, autonomie des collectivités dans les commandes et les livraisons). Arrivé à la même époque, le directeur de la cuisine Patrice Poirier avait alors lancé une réflexion sur la valeur ajoutée des produits. Une idée venue naturellement à ce fervent partisan de la fourniture locale, animateur d’une association nationale, Agores. Les chiffres qu’il livre sur la consommation quotidienne de la cuisine aident à prendre conscience du défit : 70 kg de légumes pour les entrées, 140 kg pour les plats principaux, sans compter les éventuels accompagnements. «Beaucoup de fournisseurs conventionnels (achats de quantité à bas prix) sont des distributeurs nationaux, explique-t-il. Aujourd’hui, certains se lancent dans des produits plus locaux. Mais cela dépend aussi de la commande politique sur la feuille du route, doublée du souhait du dirigeant de l’entreprise...» Les collectivités locales délèguent la fabrication des repas, faute de cantinières. «Nous pouvons être aussi un guichet pour les producteurs locaux, même avec une certaine autonomie pour les commune, permettant d’augmenter l’approvisionnement en circuits courts, avec des producteurs locaux. Cela a un intérêt pour l’économie locale.»
Après «Terroir au menu» (CARA, CARO, CdC de Marennes), la CdA de Rochefort et Dominique Dupuis ont repris le flambeau pour établir le lien entre mairies, collèges et lycées rochelais. «Les premières expérimentations ont eu lieu sur des yaourts et de la viande bovine en 2017, indique Patrice Poirier. En 2018, elles ont été étendues au maraîchage et à des produits bio.»
Mettre de la qualité dans l’assiette
Patrice Poirier mise sur le diagnostic de l’offre locale, un travail effectué en partenariat avec la Chambre d’agriculture 17, via le groupement de commandes local. «Pour absorber la différence de coût, petite, il faut travailler sur le gaspillage. Elle existe en restauration collective et commerciale. On peut diminuer le grammage consommé pour économiser en réinjectant l’économie dans la qualité du produit.» Selon lui, la traçabilité complète du produit local est plus difficile à obtenir, «comme la certitude d’un mono-fournisseur sur un produit acquis via les circuits conventionnels». Un process plus complexe, mais qui lui permet de revendiquer «un vrai métier d’acheteur».Parmi les défis à relever, celui des quantités. Un dilemme qui est «le souci des producteurs», selon Patrice Poirier, qui espère une certaine coordination des collectivités pour «ne pas tous commander le même jour... CRO commande 1800 yaourts, donc le GAEC de Lionel Patry, à Saint-Georges-de-Coteaux, ne peut pas fournir davantage ces jours-là ! C’est une mise au point des marchés entre producteurs et nous, les collectivités».
Diagnostiquer l’offre
Dans le discours, une idée ressort : l’offre apparaît comme encore insuffisante en Charente-Maritime. Pour Patrice Poirier, «il nous faut faire du sourcing et dire aux producteurs quels sont nos besoins. Nous donnons l’envie de venir sur ces marchés, car nous pratiquons le prix juste. Nous ne venons pas en parlant de notre force et de nos volumes. Il y a un échange et un respect mutuels. L’image de la restauration collective n’est pas celle du bas prix.»Dans ce débouché, différent de la restauration commerciale ou des achats de famille, «le cahier des charges n’est plus fondé sur le prix, mais sur la qualité, le développement durable et la proximité».Le diagnostic en cours travaille sur la seule notion de «territoire élargi» pour les volailles, le porc, le veau ou les fromages de chèvre. Les volumes annuels globalisés et le prix plancher fixé par le groupement de commandes sont individualisés par chaque collectivité dans l’année. La logistique, pièce maîtresse, avec un seul intermédiaire, reste à approfondir. «Beaucoup de maraîchers nous livrent en direct. Le prochain travail est de réfléchir sur la massification des commandes et leurs apports avec un point de livraison. Peut-être à CRO, qui dispatcherait. Le coût d’achat pourrait ainsi baisser grâce à cette logistique.» Pour lui, les circuits courts ne constituent pas une prise de risque, mais «un objet de rencontres avec nos producteurs». Il milite pour le travail en réseau.