La consommation de viande à nouveau pointée du doigt
Un appel à ne pas consommer de viande le lundi a relancé le débat sur le lien entre baisse de la consommation de viande et protection de l'environnement. La sauvegarde de la santé des personnes et le respect de la vie animale sont aussi invoqués.
«Remplacer la viande et le poisson chaque lundi ». C'est l'appel lancé par 500 personnalités françaises, publié le 3 janvier dans le quotidien Le Monde. Parmi les signataires de ce texte figurent notamment le député LREM Cédric Villani, l'ancien ministre Luc Ferry, l'animateur Stéphane Bern, des chercheurs et des membres d'ONG. Greenpeace, L214 et Sea Shepherd France, entre autres, soutiennent le Lundi vert. Pour les signataires, l'élevage est « l'une des activités humaines ayant les conséquences les plus néfastes pour l'environnement » et la surpêche, « une cause massive de destruction des écosystèmes et d'extinction écologique ».
L'impact de la production de nourriture animale est pointé du doigt, dans ce manifeste. Les signataires citent une étude de l'organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui indique que, pour produire une calorie de viande, il faut entre 4 à 11 calories végétales. Selon ces chiffres, remplacer la viande par des végétaux pourrait donc dégager de 2 à 20 fois plus de protéines par hectare. Une affirmation toutefois nuancée par des travaux de chercheurs de l'Inra réalisés en 2017, baptisés « fausse viande ou vrai élevage ». Selon ces chercheurs, près de 80 % de l'alimentation des animaux dans le monde sont issus de sous-produits de productions destinées aux hommes, ainsi que d'herbes, non consommées par les humains.
Reste que les 20 % restant proviennent, pour une partie grandissante, de cultures intensives comme le soja. « Aujourd'hui, c'est la demande chinoise qui pousse cette consommation. En Europe, il y a une tendance à la diminution de ce type d'alimentation pour les animaux », tempère Jean-Louis Peyraud, chargé de mission auprès du directeur scientifique agriculture de l'Inra. Toujours est-il que, selon les signataires, 85 % des surfaces déboisées de la forêt d'Amérique du Sud sont liées à l'élevage.
Le problème de l'élevage est, en effet, une question d'épuisement, de surconsommation des ressources en eau et en terres.
Nécessité d'une remise en question globale
Selon les travaux réalisés pour le WEF (forum économique mondial) par l'université d'Oxford, et publiés le 3 janvier, il sera « impossible » pour toute une population mondiale de « dix milliards d'habitants en 2050 » d'adopter une consommation de viande similaire à celle des pays occidentaux car cela demandera « trop de terres, d'eau » et émettra « trop de gaz à effets de serre ». Pour arriver à ces conclusions, les chercheurs ont comparé les conséquences sur la santé humaine et l'environnement de la consommation de treize sources de protéines animales et végétales.
Toutefois, les chercheurs d'Oxford ne préconisent pas la fin de l'élevage mais plus une « remise en question globale » des systèmes de production de viande, ainsi qu'un « fort développement des protéines alternatives ». Ils privilégient ainsi un élevage plus extensif, couplé à une baisse drastique de la consommation.
Par ailleurs, le stockage de carbone réalisé par les prairies « compense l'équivalent de 30 à 80 % des émissions de méthanes des ruminants », selon les chercheurs de l'Inra. Pour Jean-Louis Peyraud, il faut aussi continuer à encourager l'innovation pour diminuer les effets de l'élevage sur le climat. « En France, on est passé de 1,2 kg de gaz à effets de serre par litre de lait produit, à 1 kg en 15 ans, et même 0,8 pour les plus efficaces », indique-t-il. Sur le plan mondial, l'élevage contribue à 14,5 % des émissions de gaz à effets de serre selon la FAO.
En Europe, et aux États-Unis, la consommation de viande reste trop élevée, malgré une baisse ces dernières années, s'accordent les chercheurs. « Une baisse de la consommation nécessaire devrait nous encourager à privilégier à 100 % des systèmes fourragers, plus vertueux en matière environnementale », conclut Jean-Louis Peyraud.
Le ministre soutient la filière viande. Il a demandé, dans un communiqué du 10 janvier, « à ce que cessent les mises en cause systématiques de nos éleveurs »
Manger moins de viande... importée !
Interbev a rappelé les engagements environnementaux de la filière viande française via son Pacte pour un engagement sociétal, signé depuis 2017 et labellisé par l'Afnor, l'association française de normalisation. « En choisissant des viandes portant la signature Viandes de France, les consommateurs ont la garantie de viandes issues de nos territoires et de modes de production plus durables », souligne l'interprofession. Le message est clair : il faut manger moins de viande... d'importation !
Même discours du côté des bouchers et des éleveurs des Deux-Sèvres contactés. « L'élevage allaitant français de qualité a un intérêt. S'il disparaît, il laissera la place à des céréales... qui appelleront a priori l'utilisation de produits phytosanitaires, contrairement aux prairies », remarque Loïc Chouc, éleveur de porcs et charcutier (La Rosette des prés), à Fenioux, qui vend aussi des pièces de boucherie locale (de la Parthenaise Label rouge, par exemple). Depuis quinze ans, il note une baisse de la consommation de viande : « les clients achètent moins mais mieux ». Alors, « est-ce qu'il faut en rajouter ? À un moment donné, il faut que ça s'arrête », pense-t-il. « Je ne peux pas être pour ce genre de truc » : Thierry Guéret, boucher-charcutier-traiteur à Sainte-Radegonde, président des bouchers des Deux-Sèvres, est catégorique sur le Lundi vert. « Il faut manger de la viande française. J'achète mes vaches sur pieds. Elles sont élevées à l'herbe, essentiellement, et au foin, aux céréales (pas d'ensilage). On vend déjà moins de boeuf qu'il y a dix ans : si l'on n'avait que la viande, ce serait compliqué, ajoute le traiteur. Vous ne trouverez pas beaucoup de bouchers qui sont OK avec le Lundi vert ».
Si Greenpeace sensibilise à la gastronomie végétarienne dans les rues de Poitiers et milite pour deux repas végétariens par semaine dans les cantines, rien n'est prévu en Deux-Sèvres, où l'association n'a pas d'antenne locale. Yanik Maufras, le président de Deux-Sèvres nature environnement, trouve, de son côté, que l'appel est « clivant », confronte deux mondes : « ça percute le travail que l'on fait au quotidien avec les éleveurs, sur la biodiversité justement. On prend acte de ce communiqué et on continue le boulot ».