Le marais de Brouage expérimente
Un rapport l'affirmer : il fallait trouver les voies de la préservation des zones humides par l'élevage extensif. Deux intercommunalités se sont portées candidates.
Brouage, sa citadelle, son ancien port, ses marais… la carte postale, aussi attirante soit-elle, ne peut pas être immuable. Derrière le tableau idyllique que peuvent en dresser les milliers de touristes qui traversent, transitent, vivent des hommes et des femmes, ces maraîchins que l’histoire a enracinés là, ou posé, venus des terres hautes. Après la publication du rapport sur la préservation de l’élevage extensif par le CGAAER, en juillet dernier, cette «terre» là a été retenue pour servir d’expérimentation sur ce qui pourrait être une aide marais nouvelle formule. Pas ICHN, pas MAEc, mais mieux, plus adaptée.
C’est surtout que l’entente intercommunautaire (l’agglo de Rochefort, la CdC de Marennes) travaille ardemment sur le «grand projet du marais de Brouage.» A cette fin, ses élus recevaient, à la mi-février, une délégation venue installer l’expérimentation, sous l’égide du Forum des Marais Atlantiques. Quelques jours plus tard, les deux présidents des deux intercommunalités, Mickaël Vallet et Hervé Blanché, présentaient à la presse, au milieu de l’étable de Patricia Oudin, ce qui allait servir de base, tant à la réflexion, qu’aux actions futures. En juillet dernier, la mission auteure du rapport estimait qu’il y avait «une réelle urgence» face à «la perte de confiance des éleveurs dans le nouveau système d’aides agroenvironnementales.» Le rapport préconisait un élevage bovin en production extensive «diminuant les charges, et tirant le meilleur parti des potentialités des milieux humides.» Côté environnement, on optimisait les dispositions législatives. La mission souhaitait y mettre une dose de «cohérence» et prônait l’expérimentation pour évaluer actions et leurs impacts. Elle faisait émerger l’idée d’un projet territorial de développement durable «visant à y développer l’élevage extensif et à y reconquérir la biodiversité.» En un mot, expérimenter, grandeur nature, l’agro-écologie.
L’ICHN n’est pas adapté. Autant qu’elle put l’être aux marais. Dans la nouvelle cartographie des zones défavorisées, tout juste adoptée, le fondement même du «handicap» tient une large place. Patricia Oudin, éleveur de 300 animaux maraîchines et Highland, à Hiers, en témoigne : «les contraintes sont multiples : parcelles éloignées, morcelées, inondées, voirie difficile, mises aux normes…» Le discours est connu. Il avait pourtant besoin d’être redit, tant devant la délégation du CGAAER que la presse. «Nous sommes avant tout une économie, mais juste pour faire beau dans le paysage» résume-t-elle. «Il n’est pas évident de dégager un revenu. D’autant que nous avons fait le choix de races rustiques qui peinent à trouver preneurs chez les abatteurs et les bouchers. Nous avons donc développé le circuit court avec des ventes par panier, peu adapté à la demande estivale.»
Pourtant, du côté de l’entente intercommunautaire on aimerait bien concilier le côté touristique et les exploitations agricoles présentes sur ce marais. Marais de 13 communes, 26 habitants où 4 exploitations sur 10 sont tournées vers le marais en bovins viande, avec des chargements inférieurs à 1 UGB/ha, 8 000 ha de prairies (la quasi-totalité en MAE) sur les… 10 000 ha du marais. L’expérimentation souhaite pousser le bouchon plus loin : inventer un règlement d’eau, programmer les travaux hydrauliques, créer une association foncière pastorale, réfléchir au développement touristique et mettre en place des circuits courts. Mais il faut et faudra accompagner les agriculteurs dans le changement. Même si les données des paradigmes n’ont guère changé depuis des années. Le constat est connu. Les «solutions» pour l’émergence de nouveaux modes de développement maraîchins un peu moins. Qui iraient au-delà de la simple rémunération pour services environnementaux rendus.
Pas important franchi
Mickaël Vallet avoue avoir «provoqué» pour «être dans les radars» dans la préservation des zones humides par l’élevage. «L’enjeu a été considéré comme fondamental» poursuit-il. «La survie des zones humides tient à la présence ou pas de l’élevage » résume Jean-Marie Gilardeau, ex-professeur universitaire de droit rural et éleveur maraîchin, «le fait que deux ministères se penchent sur notre cas, par une mission de réflexion, est un pas majeur. L’originalité réside dans l’expérimentation. » Mickaël Vallet insiste : «mieux vaut que ceux qui travaillent dans ce marais en parlent. C’est une bonne nouvelle, car c’est un travail de longue haleine sur Brouage. Le but est de trouver des solutions adaptées pour le maintien de l’élevage dans les zones humides, financières, législatives, réglementaires, face au droit européen. L’élevage est le plus opportun pour la valorisation du milieu, pas seulement pour la consommation de viandes, mais aussi pour l’environnement.» Le président de la Cdc de Marennes martèle : «oui, il y a des besoins spécifiques pour les zones humides. Comme on a reconnu ceux de la montagne.» Les intercommunalités, selon lui, montent le grand projet marais de Brouage, mènent l’idée d’un parc naturel régional, dans «un cadre légal actuel» Il parle d’évolution de ce cadre via cette expérimentation.
Financer l’entretien du milieu
Dans le bilan que dresse aujourd’hui, Jean Marie Gilardeau des mesures agri-environnementales, il n’y voit qu’un échappatoire pour «éviter le pire.» Rien de plus. Pas de durabilité. D’autant que les atermoiements sur leur pérennité ont pénalisé la vision à long terme : «passons à quelque chose de positif : rémunérons ce service rendu par les agriculteurs. Un exemple : un volume important des eaux pluviales va dans le marais… C’est très innovant. Cela devient à l’ordre du jour. Les deux ministères attendent des propositions, qui une fois les élections européennes passées, pour les proposer à Bruxelles.» Le chemin est encore long. Mais c’est dans les sinuosités des canaux du marais que cette mesure prendra forme. D’ici un an ou deux. Brouage sera donc pionnier.