Magazine
Le monde paysan en voie de disparition ?
Proposer un autre paysage intellectuel, renouer avec l’esprit critique… telles sont l’ambition et la volonté de Séverine Denieul, responsable de la publication «L’Autre Côté». La quatrième revue publiée récemment s’intéresse aux paysans.
Proposer un autre paysage intellectuel, renouer avec l’esprit critique… telles sont l’ambition et la volonté de Séverine Denieul, responsable de la publication «L’Autre Côté». La quatrième revue publiée récemment s’intéresse aux paysans.
La première publication de la revue « L’autre côté » date de 2009. Quelles sont vos orientations ?
La revue est davantage tour-née vers les sciences humaines et la critique sociale. La première revue, en 2009, s’intéressait à la « French Théory » et plus largement aux modes intellectuelles de notre temps et leurs auteurs médiatisés. La deuxième abordait la culture de masse comme une illusion du choix et enfin la troisième était centrée sur un philosophe, Heidegger, sa réception en France et ses héritiers.
Pourquoi les paysans pour votre quatrième publication ?
Le point de départ c’est une rencontre avec des agriculteurs du Cantal qui m’ont dit qu’il y avait des choses à dire sur la perte du lien social dans les villages, la perte d’une civilisation… celle des paysans qui ne constituent plus la majorité en milieu rural. Alors que paradoxalement le côté « folklore » des campagnes du XIXe siècle remporte beaucoup de succès dans des reconstitutions de fêtes des battages par exemple. Il s’agissait aussi d’expliquer certains comportements dits « productivistes » de certains agriculteurs. Sans blâmer per-sonne mais pour comprendre le passage d’une logique paysanne à la rationalité économique de la gestion des exploitations. J’ai interviewé des agriculteurs bio dans le Cantal… mais aussi dans les Deux-Sèvres. Je n’ai pas eu de retour de mes demandes d’interview d’agriculteurs dits « conventionnels ». Ceux qui m’ont répondu sont dans une autre logique mais là encore il ne s’agit pas d’opposer des pratiques mais de faire un état des lieux. Nous avons surtout voulu comprendre les évolutions de ce monde paysan en ne mettant évidemment pas de côté le rôle de politiques telles que la Pac et les effets de la mondialisation avec la concurrence accrue.
Vous posez la question de l’existence de la campagne en France ? Ce sont aussi des souvenirs de jeunesse qui s’évanouissent ?
Mon contact avec le monde agricole s’est fait via mes grands-parents, puis, plus tard, grâce à des amis qui ont souhaité quitter la ville pour s’installer à la campagne. Eux-mêmes tenaient les liens avec le monde agricole de leurs grands-parents. Je parle en effet du hameau dans lequel j’ai grandi, où les champs cultivables composaient il y a encore 20 ans l’essentiel du paysage et qui disparaissent aujourd’hui. Mais il n’y a pas que les grandes surfaces qui empiètent sur les terres agricoles. L’élan des zones pavillonnaires a mis à mal la campagne. L’habitat périurbain est plébiscité et presque idéalisé avec le développement du réseau routier et donc de l’utilisation de la voiture. C’est de cela aussi que le monde paysan souffre.
Quels ont été vos autres contributeurs et interlocuteurs ?
J’ai interviewé deux éleveurs du Cantal. L’un est éleveur de moutons bio et le second installé en polyculture-élevage avec des vaches et des cochons bio en plein air, « issu d’une famille de paysans ». Il a repris la ferme familiale après des études de lettres et de musique classique. Le premier a passé sa jeunesse dans le monde rural mais pas agricole. Ils expliquent leur parcours, leurs observations du monde rural où ils sont nés et ses évolutions. Des difficultés à s’installer aussi car ils n’ont pas toujours été bien accueillis même par les autres agriculteurs du secteur.J’ai aussi interviewé un éleveur de chèvres et de brebis et producteur de fromages dans le Lot-et-Garonne qui s’est lancé dans une logique contre les normes et les certifications. Il regrette le changement de vocabulaire, notamment dans la formation. Un éleveur est devenu un UTH (Unité de Temps Humain) à qui on ne demande plus combien il a d’animaux mais de calculer son UGH (Unité Gros Bétail). « On ne nous apprend pas l’élevage mais la zootechnie », regrette cet éleveur qui ne peut pas être complètement en dehors d’un système, qui, selon lui, l’en-traîne dans un engrenage d’investissements mais aussi de perte de goût du produit. Ses clients le suivent en tout cas. Nous avons d’autres contributions, notamment sur la situation en Espagne, où, dans certains villages il n’existe plus de productions au pluriel. Nous abordons aussi l’agriculture en ville avec les murs végétaux et les productions sur les toits qui reviennent après que l’urbanisation à outrance ait complètement rasé les productions autour de Paris notamment.
Vous avez enfin la contribution de Jocelyne Porcher, directrice de recherche à l’Inra, qui a beaucoup travaillé sur les relations entre éleveurs et animaux. Dans votre publication, elle parle du mouvement vegan.
Oui. Elle parle de la relation et de ces liens « domestiques-travail » entre l’homme et l’animal. Et surtout de l’évolution de cette relation entre l’industrialisation de l’élevage et de la violence des associations dénonçant ce système. Elle aborde en outre « les alternatives » aux produits animaux, en dénonçant l’émergence de l’agriculture produite en laboratoire.