Interview
Des vacances plus courtes pour un métier dépendant du vivant
Au fil des années, les agriculteurs aspirent à plus de temps libre. Cependant, la différence de mode vie avec les autres catégories socioprofessionnelles demeure, selon Roger Le Guen, sociologue à l’ESA d’Angers.
En 1936, le Front populaire vote les congés payés. Une révolution pour les travailleurs mais qu’en est-il pour les agriculteurs ?
En 1936, les agriculteurs ont vécu cette décision comme une provocation, ils se sont sentis lésés. Ce n’est que dans les années 60 que les choses ont évolué pour le monde agricole grâce à certains militants ayant une conception bien établie de la vie familiale et sociale. Puis l’évolution de la situation économique de la profession a accentué le phénomène vacances dans les années 80. A cela s’est ajouté un changement de mentalité souhaitant mettre fin à l’adage « Le paysan vit pauvre et meurt riche ». L’agriculteur veut avoir du temps libre, en profiter et c’est une condition sine qua non dès l’installation.
La profession s’inspirait-elle du mode de vie des autres catégories socioprofessionnelles notamment avec l’avènement des 35 heures ?
Les 35 heures ont amené les agriculteurs à poser un regard différent sur leur propre travail. Notamment avec le voisinage qui est de moins en moins composé d’agriculteurs. Voir son voisin profiter de son vendredi après-midi en terrasse fait réfléchir. Et puis, les agriculteurs ont de plus en plus fréquemment un ou une conjoint(e) qui travaille à l’extérieur avec des vacances bien calées. Certains m’ont rapporté que s’ils n’avaient pas libéré de leur temps pour les vacances, s’en seraient probablement suivis des problèmes de couple.
Et outre ce phénomène de vacances, on assiste au développement d’activités en dehors du travail comme le théâtre, la vie associative ou le sport. Ce dernier leur permet de se préserver physiquement pour un métier qui reste difficile. Puis le temps libre leur permet de se ressourcer et de mieux travailler et pallier en partie les phénomènes de fatigue et de démotivation qui peuvent surgir vers 40 voire 45 ans.
La multiplication des formes sociétaires telles que les Gaec a-t-elle dopé ce phénomène ?
Oui, il est plus facile de partir quand on se fait remplacer par son associé. Pour ceux qui travaillent seuls, c’est plus délicat. Tous ne peuvent pas s’offrir les prestations des services de remplacement, ils les jugent chères. Et les agriculteurs peinent à déléguer. Cette réticence est la même que l’on retrouve dans les très petites entreprises. Ils se disent : « L’entreprise, c’est moi ! ». Surtout dans les domaines de l’élevage où les agriculteurs se disent que leurs animaux ne peuvent pas vivre sans eux. Par ailleurs, quand ils partent, ils peuvent se faire remplacer par des amis agriculteurs mais de moins en moins par leurs parents. Ces derniers aspirant à profiter de leur retraite et hésitant à remplacer leurs enfants durant quinze jours d’affilée.
Selon les productions et les zones géographiques, observe-t-on des différences quant à la prise de jours de congés ?
L’élevage laisse moins de temps disponible par rapport aux grandes cultures. Ceux installés à proximité des villes prennent souvent plus de vacances que ceux installés en campagne profonde. Et puis des régions comme la Bretagne où la modernisation des élevages a été importante comptent plus d’agriculteurs prenant des vacances. On observe également des différences de mentalité. Il y a ceux qui choisissent ce métier comme un mode de vie à part entière. Certains jeunes qu’on appelle les néopaysans pratiquent le métier à l’ancienne, sans beaucoup de temps libre, ils se disent heureux comme ça.
Quand ils partent en vacances, que font-ils ?
Tout d’abord, la majorité des agriculteurs part moins loin et moins longtemps que les autres catégories socioprofessionnelles. Souvent, ils prennent une semaine en été et une semaine en hiver. Après, c’est selon l’âge des enfants et le niveau de revenus : les voyages pour les plus aisés et les séjours chez des amis ou dans de la famille pour les revenus les plus modestes. Certains font du tourisme urbain, beaucoup d’agriculteurs visitent Paris l’été, les musées, les monuments… Pour certains, être dehors n’est pas une de leurs priorités, ils le sont tout le reste de l’année.
Même si leur mode de vie évolue, il reste tout de même éloigné de celui des autres professions…
Oui car ils sont à la fois le travailleur et le capitaliste. Et c’est un métier qui dépend du vivant avec tous les aléas que cela suppose. C’est un milieu où les acteurs se posent des questions éthiques et intellectuelles, c’est parfois un monde assez cru notamment en matière d’élevage où l’on fait naître et où l’on envoie à la mort. Le métier d’agriculteur engage les émotions et l’identité de l’exploitant.
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Le 16 juillet : Stéphane Berneau, agriculteur à Chauray, ne part jamais très longtemps loin de ses chèvres. Laurent Barbin, quant à lui, travaille quand les agriculteurs partent en vacances. Il est agent de remplacement.
Le 23 juillet : Jean-Christophe Morin, installé à L’Hôpitau, organise son travail en fonction de ses vacances, essentielles à son équilibre. Détour également du côté d’une agence de voyage spécialisée en séjours agricoles.
Le 30 juillet : Bernard Métais, installé à Vasles, offre de son temps libre aux agriculteurs du Togo. Et Isabelle et Jean-Marie Charbonneau, de Saint-Maixent-de-Beugné, accueillent quant à eux une jeune fille sur leur ferme durant l’été.