Manque de disponibilité de matière grasse: le prix du beurre s’envole
En pleine période d'Épiphanie, les cours du beurre atteignent des niveaux inédits depuis la crise de 2017-2018. Les approvisionnements se tendent du fait d'une faible production et d'une demande qui augmente.
Entre septembre et décembre dernier, le prix du beurre a augmenté de plus de 30 %, et culmine actuellement à presque 6 000 €/t (voir graphique ci-contre). Un niveau inédit depuis la « crise du beurre » de 2017-2018, pendant laquelle les cours s'étaient envolés à plus de 7 000 €/t.Différentes causes expliquent cette situation. « On a eu une baisse de la production laitière française l’année dernière de 1,7 % par rapport à 2020. La Ferme France a perdu 52 000 vaches laitières en 2021 ! », détaille François Brescia, responsable production laitière à Agrial. La fabrication de beurre et de crème a baissé dans la même proportion : -1,1 % en 2020 et - 0,9 % en 2019. La faiblesse de la collecte entre mars et mai (période habituelle de pic de production) n'a pas permis de reconstituer les stocks de beurre habituellement congelés pour être consommés plus tard dans l'année. Plus que « pénurie », mot largement employé dernièrement, François Brescia préfère parler de manque de disponibilité.En Allemagne et aux Pays-Bas, gros producteurs européens, la collecte est aussi en baisse. Mais, dans le même temps, la consommation mondiale de lait continue d’augmenter de 2 % par an. Cette demande, rappelle François Brescia, est portée par l’Asie, et en particulier par la Chine, « qui a augmenté ses importations (principalement en Europe) de 20 % sur les 10 premiers mois de 2021 ».On constate aussi que dans le même temps, « la demande a été forte en fromages et les prix de la crème, très attractifs depuis le mois de septembre, n'ont pas incité les opérateurs à la transformer en beurre », analysent les experts du Cniel. En ce début d'année 2022, l'interprofession prévoit que « les disponibilités en beurre pourraient rester faibles et les cours se maintenir à des niveaux élevés ».Cette bonne tenue des marchés des produits laitiers industriels, combinée à des disponibilités limitées en France, devrait soutenir la hausse des prix du lait à la production dans les prochains mois. En tout cas, « on peut l’espérer », estime Jean-Luc Béjaud, un des associés du Gaec de Grains Gars Lait, à Saint-Julien L’Ars, et président du Bassin lait de vache Poitou Centre Agrial . « Cette embellie pour la production laitière va apporter plus de rentabilité sur les exploitations. » Pour donner de la lisibilité, surtout à un moment où l’enjeu du renouvellement de générations est important pour la filière, « il faut un prix du lait attractif et qui permette un revenu rémunérateur », insiste l’éleveur. Le prix du lait payé aux producteurs a dernièrement poursuivi sa hausse, passant de 350 €/1 000 l sur les 3 derniers mois de 2021, pour atteindre entre 375 à 380 €, les 3 prochains mois. Cette hausse est nécessaire au vu de l’augmentation des coûts de production remarque Jean-Luc Béjaud. Effectivement, si le prix du lait progresse, l’indice Ipampa (indice des prix d'achat des moyens de production agricole) affiche une hausse de 8,8 % en 12 mois, tiré par l’aliment acheté, l’énergie et les engrais. Dans ce contexte, l’éleveur voit d’un bon œil l’application de la loi Egalim 2 qui va permettre de «sanctuariser lors des négociations commerciales la part des matières premières agricoles qui composent les produits alimentaires.»
La galette des rois n’est pas à la fête
En pleine période de ventes de galettes à la frangipane, la hausse du prix du beurre entamée depuis la rentrée dernière, tombe mal. « Au départ, j’ai pensé que cette augmentation serait de 20 à 30 cts/ le kg. Mais en pleine période de Noël, ça a encore explosé », déplore Rémy Amaro, boulanger-pâtissier à Châtellerault, installé il y a un an. En temps normal, le beurre AOP Charentes-Poitou qu’il utilise, entre autres pour la fabrication de ses galettes, tourne autour des 6 €/kg. Il atteint aujourd’hui près de 10 €! Et en janvier, les besoins de l’artisan en volume de beurre atteignent les 400 kg (contre 80 kg en moyenne en temps normal). Impossible de faire l’impasse sur cet ingrédient, qui compose l’essentiel du fameux gâteau.Dans la boutique de Rémy Amaro, il faut compter autour de 12 € pour déguster une galette pour 4 personnes. Malgré la hausse du prix du beurre, « on a gardé le prix que l’on avait fixé avant les fêtes et mentionné sur nos flyers de l’époque», confie le boulanger. L’artisan n’a pas voulu jouer non plus sur l’achat d’autres types de beurre n’ayant pas d’appellation. « De toute façon, ils atteignent quasiment les mêmes prix ! »« C’est un manque de beurre, qui entraîne une forte hausse de son prix », observe Alain Hayée, le président de la fédération des artisans boulangers et pâtissiers de la Vienne. Et les fournisseurs ont glissé à Rémy Amaro qu’il fallait peut-être encore s’attendre à 2 ou 3 hausses de prix d’ici la fin du mois de janvier. Cette passe déjà difficile est sans compter, en parallèle, avec la hausse des prix de nombreuses autres matières premières comme la farine ou bien des emballages, pour lesquels il y a aussi pénurie. Pour couronner le tout, des boulangers du département enregistrent une augmentation de leurs coûts d’électricité, avec des tarifications pouvant être multipliées par 3 dans certains cas. « Des fournisseurs profitent de renouvellement de contrats pour pratiquer des hausses très importantes. » Le président des boulangers du département, sans faire de catastrophisme, assure qu’il y aura un manque à gagner cette année sur les ventes de galettes. Roland Dupond, gérant de la biscuiterie de Lencloître, partage ces mêmes inquiétudes. La situation est pour lui aussi « très compliquée. On se prend ce phénomène en pleine tête ». Le beurre est pour lui aussi un composant essentiel pour ses broyés du Poitou et autres sablés. « J’utilise uniquement du beurre frais de la région. Je suis face à des hausses de prix du beurre d’environ 50 %. Je n’ai pas 36 solutions. Je ne veux pas utiliser de beurre congelé car la tenue de mon produit final n’est pas la même. »Le biscuitier dit ne pas pouvoir répercuter intégralement cette augmentation, à laquelle s’ajoute une hausse du prix des œufs en lien avec la hausse de celui des céréales. « On est dans une spirale infernale. Si on devait encore revoir nos prix, ça poserait question, car ça pourrait avoir des effets sur les consommateurs qui sont très réactifs dans leurs pratiques d’achats. Il y a un seuil au-dessus duquel les ventes s’arrêtent. »